https://www.mediacites.fr/enquete/2018/05/29/la-nouvelle-geographie-de-leolien-francais/
En France, les zones d'implantation des éoliennes changent et le marché se transforme. Dans son ouvrage Les Mirages de l’éolien, dont Mediacités publie ici un extrait, le journaliste Grégoire Souchay se penche sur les ambiguïtés de ce secteur en pleine croissance.
En France, les zones d'implantation des éoliennes changent et le marché se transforme. Dans son ouvrage Les Mirages de l’éolien, dont Mediacités publie ici un extrait, le journaliste Grégoire Souchay se penche sur les ambiguïtés de ce secteur en pleine croissance.
Il n’est pas nécessaire d’habiter à un kilomètre d’installations pour se sentir quotidiennement entouré d’éoliennes. Télévision, publicité, magazines, les représentations du « motif éolien » sont partout. Certains artistes à succès en font même des chansons. L’apparition la plus inattendue à mes yeux fut peut-être de retrouver leur image sur les parois de la cabine de toilettes d’un TGV.
« Tout cela est en concordance avec la montée des enjeux environnementaux », explique Yann Castanier, photojournaliste et conseiller en stratégie de communication. « Pour que s’opère cette prise de conscience, il a fallu changer les représentations. L’éolien n’est plus seulement une solution technique à une problématique environnementale, mais est devenu un signifiant du fait que l’être humain peut vivre en harmonie avec la nature. »
Et par là, l’image d’une éolienne est devenue valorisante pour des entreprises qui n’ont rien à voir avec la production d’électricité. Une manière de dire : «Faites-nous confiance, nous prenons soin de vous en prenant soin de votre environnement. » D’ailleurs, ces éoliennes ne forment-elles pas des « parcs », s’inscrivant dans leur « écosystème » en répondant aux « besoins durables » ?
En certains lieux, cette parenté entre éoliennes d’hier et d’aujourd’hui est exploitée à des fins touristiques. Ainsi, sur le plateau d’Ally, en Haute-Loire, vingt-cinq turbines sont installées depuis 2005. Alors que le projet a fait parler de lui du fait d’accusations de prises illégales d’intérêts – les élus concernés ont été relaxés en appel en 2017 –, c’est aujourd’hui un symbole de la résonance entre plusieurs époques industrielles. L’association de promotion du patrimoine local a ainsi intégré la visite des éoliennes dans son parcours touristique entre moulins à vent et ancienne mine d’argent. Une curiosité qui a permis de tripler le nombre de touristes sur le secteur. Et voici que depuis 2014 certains parcs, en Seine-Maritime ou en Alsace, proposent des événements dédiés à l’éolien lors des journées du patrimoine !
Un affront pour Jean-Louis Butré, responsable de la Fédération environnement durable, qui dénonçait alors « une opération marketing ». Pour lui, l’éolien représente « la plus grande transformation paysagère de toute l’histoire du pays ». Si les impacts négatifs sur la fréquentation de chambres d’hôtes à proximité d’éoliennes sont souvent pris en exemple, il est difficile d’établir des statistiques fiables, permettant de mesurer l’effet spécifique de l’éolien sur la fréquentation touristique. En attendant, certains préparent un projet de « sentier des énergies » dans l’Aude, avec la première éolienne en Europe proposant une plateforme panoramique pour les visiteurs, à l’image de celle de Vancouver, au Canada.
Géographie de l’éolien en France métropolitaine
Loin de concerner une infinité de paysages, l’éolien n’est pas présent partout en France. Les grandes régions propices ont été depuis longtemps identifiées : « La France bénéficie de gisements éoliens importants, avec trois régimes de vent, océanique, continental et méditerranéen », expose Stéphane Chatelin, directeur de l’association négaWatt ; « nous avons également de vastes zones peu peuplées, qui permettent l’installation de machines ». Des zones disponibles certainement, mais à tempérer : « La France a un bon gisement vu d’Europe, mais beaucoup de pays ont des gisements bien meilleurs dans le monde », précise David Corchia, cofondateur du groupe Eren. Qu’en est-il ?
Il suffit d’ouvrir un atlas des parcs éoliens en France pour découvrir de très importantes zones du pays sans aucune éolienne. Dans le grand quart sud-ouest du pays, les installations ont été édifiées dans les départements proches de la Méditerranée (Tarn, Aude, Hérault, Aveyron), mais quasiment aucune ne se trouve dans l’ancienne région Aquitaine, au Pays basque, ou dans la partie centrale de la chaîne des Pyrénées ainsi qu’en Gascogne. Idem dans le Sud-Est : en Savoie et dans toute la région PACA, ne se trouvent qu’une trentaine d’éoliennes, concentrées près de la zone industrielle de Fos-sur-Mer. Quant à l’Île-de-France, les implantations démarrent tout juste avec quelques parcs en projet dans le sud de l’Essonne et de la Seine-et-Marne. À l’inverse, l’éolien se développe intensivement dans les piémonts de la Méditerranée, les grandes plaines des Hauts-de-France et de Champagne, mais aussi en Beauce, en Bretagne et, de manière importante, en Normandie et dans le Poitou.
C’est qu’à la contrainte technique du vent s’ajoutent des limitations réglementaires liées aux activités humaines : aéroports, radars météos et militaires, et, depuis 2010, la distance minimale de cinq cents mètres des premières habitations. Il faut encore y ajouter les réglementations environnementales : massifs montagneux, zones protégées pour la faune et la flore, couloirs migratoires, etc. Ce qui fait dire à Jean-Yves Grandidier, PDG de Valorem, que « l’ensemble des contraintes cumulées réduit les territoires paysages de l’éolien autorisés pour l’implantation d’éoliennes à la taille de confettis ». Des espaces résiduels, déjà occupés par des concurrents, ou des zones qui ne sont pas suffisamment venteuses.
Si les promoteurs ne sont pas avares en alertes sur les tentatives d’étouffement de leur filière, c’est que, pour eux, le vent et l’autorisation réglementaire ne sont pas des données suffisantes. Dès le début des années 2000, la direction de l’Évaluation environnementale planchait sur la notion de « gisement éolien » et faisait le constat suivant : la rentabilité d’un gisement éolien dépend avant tout de la valeur qu’aura le kilowattheure qui y sera produit. Les éoliennes sont donc implantées sur les gisements de vent quand ceux-ci sont rentables.
Cet équilibre économique et géographique est en pleine mutation. Alors que, d’un côté, le fonctionnement du marché éolien se transforme, de l’autre, de nombreuses innovations techniques permettent d’accroître la taille des pales, la hauteur des mâts et la puissance des turbines, pour des coûts limités. Une course au gigantisme ? Pas seulement. En rehaussant une même installation de dix ou vingt mètres, la fréquence de fonctionnement à pleine puissance s’accroît nettement. Et si, en sus, les pales sont allongées, l’effet sur la production est quadruplé. C’est cette « révolution éolienne silencieuse », selon l’expression de l’économiste Bernard Chabot, qui « a permis de mettre des éoliennes dans des endroits moins venteux, jusqu’ici non exploitables », évalue Cédric Philibert, de la division des énergies renouvelables à l’Agence internationale de l’énergie. En conséquence, l’éolien se développe désormais dans de nouvelles régions, comme le nord de la Bourgogne ou la Provence, que les opposants craignent désormais de voir « envahies ».
Mais surtout, selon Cédric Philibert, ces innovations conduisent à « augmenter le facteur de charge en remplaçant des anciens modèles dans des endroits plus venteux ». Une manière de rendre ces parcs plus performants et d’atténuer la critique sur l’efficacité de l’éolien.
“Les Mirages de l’éolien”, du journaliste Grégoire Souchay, collaborateur régulier de Mediacités, est paru aux éditions Seuil-Reporterre en mai 2018. L’ouvrage renvoie dos à dos les pro et anti-éoliennes : si le développement de cette énergie renouvelable a pu donner l’illusion d’un monde meilleur, le secteur reste marqué, comme les autres industries, par un univers capitaliste prédateur et par une logique d’appropriation économique d’un espace commun pour servir des intérêts privés, nous explique l’auteur. Grégoire Souchay a déjà publié dans la même collection “Sivens, le barrage de trop” (2015).