↦ http://www.institutmontaigne.org/fr/publications/eoliennes-nouveau-souffle-ou-vent-de-folie
↦ http://www.institutmontaigne.org/res/files/publications/amicus_eolien-bd.pdf
Auteur Vincent Le Biez, juillet 2008
Cette étude montre que le développement massif de l’éolien tel qu’il a été initié par la France ne répond à aucun besoin et induirait des surcoûts de plus de 2,5 milliards d’euros par an.
Après un démarrage tardif par rapport à ses voisins européens, la France s’est lancée dans un développement massif de l’éolien dans le but d’atteindre près de 10 % de sa consommation nationale d’électricité à l’horizon 2020. Pour cela, la puissance publique a multiplié les aides et les garanties à destination de ce secteur. Cette étude montre qu’un développement de l’éolien de cette ampleur ne répond pas à un besoin en France et qu’il induirait des surcoûts pour la collectivité pouvant dépasser 2,5 milliards d’euros par an à horizon 2020. En revanche, un développement modéré de cette source d’énergie qui s’appuierait sur des appels d’offres plutôt que sur un tarif d’achat garanti, peut permettre d’accompagner dans une certaine mesure l’augmentation de la demande d’électricité tout en diminuant les émissions de CO2 et en mettant fin aux profits particulièrement élevés qu’on observe aujourd’hui sans justification dans la filière éolienne.
Dans le contexte actuel de
lutte contre le réchauffement
climatique, les pays de l’Union
européenne ont décidé de
développer massivement les
énergies renouvelables (EnR)
afin qu’elles atteignent 20 %
de la consommation finale
d’énergie à l’horizon 2020.
La déclinaison de cet objectif
pour la production d’électricité
place l’éolien dans une position
incontournable puisque les
autres sources renouvelables
sont soit près d’être saturées,
comme l’hydraulique, soit
moins compétitives – même à
moyen terme – comme le
solaire photovoltaïque.
C’est la raison pour laquelle le Grenelle de l’Environnement a
opté pour un développement
massif de cette filière dans les
années à venir : il s’agit de
parvenir à 25 000 MW de
puissance installée en 2020,
ce qui représenterait environ
10 % de la consommation
française d’électricité.
Atteindre cet objectif, qui
implique des investissements
colossaux, nécessite des
mécanismes de subvention
publique. Il convient donc
d’en examiner la pertinence
dans un contexte français où la
production d’électricité émet
déjà très peu de CO2 en raison
de la forte part qu’y occupent
le nucléaire et l’hydraulique.
1. L’éolien dans le
contexte électrique
français et européen
Les éoliennes, ou aérogénérateurs,
transforment l’énergie
mécanique du vent en énergie
électrique. Leur production
est soumise aux aléas
météorologiques, elle est donc
intermittente. Quand il n’y a pas
assez de vent (moins de 3 m/s),
l’éolienne ne fournit pas
d’électricité, quand il y en a
trop (plus de 25 m/s), elle se
met en rideau pour éviter
d’être endommagée. Une autre
caractéristique essentielle de ce
type d’énergie est qu’elle est fatale : elle vient avec le vent et
ce sont les autres sources de
production d’électricité qui doivent
constamment s’adapter pour
maintenir l’équilibre entre l’offre et
la demande. Enfin, une éolienne
n’émet presque pas de CO2 sur sa
durée de vie (1) et son coût marginal
peut être considéré comme nul.
Pour bien saisir les enjeux du
débat sur l’énergie éolienne, il faut
comprendre le contexte électrique
dans lequel cette source d’énergie
s’insère. En particulier, quatre
éléments méritent d’être
soulignés.
• Le marché de l’électricité doit
aujourd’hui être appréhendé à
l’échelle européenne, en particulier
au niveau de la « plaque »
France-Benelux-Allemagne. Grâce
aux interconnexions, même si elles
demeurent limitées, les électrons
ne connaissent pas de frontière et
il n’est plus possible aujourd’hui
de raisonner en termes de
production ou de consommation
franco-française.
• Malgré les efforts de maîtrise de
la demande énergétique globale, le
marché de l’électricité est, lui, en
croissance, de l’ordre de 1 à 2 %
par an. L’augmentation du prix du
pétrole entraînera probablement
une substitution accrue de
l’électricité à des matières fossiles
(voiture électrique, chauffage
électrique, pompes à chaleur…),
ce qui nourrira l’augmentation de
la demande dans les années à
venir, notamment lors des pointes.
En conséquence, l’Europe devra
se doter de nouveaux moyens
de production d’électricité.
Le gestionnaire du réseau (RTE)
estime à 10,5 GW la puissance
supplémentaire nécessaire à
l’horizon 2020 pour la France (2)
.
• Pour assurer à tout instant
l’équilibre entre l’offre et la
demande, le réseau doit disposer
de réserves de production
rapidement mobilisables. Il peut
s’agir de barrages hydrauliques
(utilisés principalement en hiver), de groupes au charbon ou au gaz
qui ne tournent pas à leur
puissance maximale, ou de
turbines à combustion qui
peuvent être lancées en très
peu de temps.
Ces réserves sont pour la plupart
émettrices de CO2, et leur
dimensionnement dépend des
fluctuations et surtout de la
prévisibilité de l’offre et de la
demande d’électricité.
• Le développement de nouveaux
moyens de production est
intimement lié au renforcement du
réseau de transport de l’électricité.
Ce réseau permet bien entendu
d’acheminer l’électricité des lieux
de production vers les lieux de
consommation, mais il est aussi
un moyen de mutualiser les aléas
et de gérer au mieux l’équilibre
entre l’offre et la demande. Cette
considération est particulièrement
importante dans le cas d’une
production intermittente comme
les éoliennes si l’on veut profiter
au maximum de l’effet de
foisonnement (3)
, c’est-à-dire de l’équilibre entre les différents
régimes de vent du territoire.
Il faut également prendre en compte les particularités du mix électrique français. Avec près de 77 % de nucléaire et 12 % d’hydraulique (4) , la France est le pays d’Europe qui a la production électrique la plus sobre en termes d’émissions de gaz à effet de serre. À titre de comparaison, la France est responsable de 4,6 % des émissions de CO2 dues à la production électrique en Europe, soit moins en valeur absolue que les Pays-Bas ou la Grèce, et surtout sept fois moins que l’Allemagne (5) . Ainsi, en France, le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’électricité est particulièrement limité.
Ces éléments de contexte en tête, il s’agit maintenant d’étudier l’impact économique du développement des éoliennes en France, en s’intéressant tout d’abord au coût global pour la société puis aux mécanismes publics retenus pour attirer les investisseurs sur ce secteur.
Il faut également prendre en compte les particularités du mix électrique français. Avec près de 77 % de nucléaire et 12 % d’hydraulique (4) , la France est le pays d’Europe qui a la production électrique la plus sobre en termes d’émissions de gaz à effet de serre. À titre de comparaison, la France est responsable de 4,6 % des émissions de CO2 dues à la production électrique en Europe, soit moins en valeur absolue que les Pays-Bas ou la Grèce, et surtout sept fois moins que l’Allemagne (5) . Ainsi, en France, le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’électricité est particulièrement limité.
Ces éléments de contexte en tête, il s’agit maintenant d’étudier l’impact économique du développement des éoliennes en France, en s’intéressant tout d’abord au coût global pour la société puis aux mécanismes publics retenus pour attirer les investisseurs sur ce secteur.
2. Une énergie plus
chère qu’il y paraît
Le coût complet de l’éolien
est composé du coût initial
d’investissement (achat de
l’éolienne, génie civil,
raccordement au réseau de
distribution) et du coût de
maintenance auxquels il faut
ajouter les externalités générées
par l’intermittence de ce mode de
production.
L’investissement initial explique
la majeure partie du coût de
l’éolien. Après avoir connu une
baisse continue grâce à l’augmentation
de la puissance unitaire des
aérogénérateurs, ce coût est
aujourd’hui à la hausse, d’une
part en raison de l’augmentation
du prix des matériaux de
construction (acier, ciment…) et
d’autre part en raison de la forte
demande d’éoliennes à travers
l’Europe. On retient couramment
la valeur de 1 300 €/kW (6) installé, avec un taux
d’actualisation de 8 % (7) et une
durée de vie de 20 ans. On arrive
donc à une charge annuelle de
capital de 120 €/kW. Pour
calculer les charges fixes
annuelles, il faut ajouter le coût
de l’entretien, du gardiennage et
de l’assurance, qui varient entre
2 et 3 % de l’investissement
initial soit environ 30 €/kW. Le
coût complet hors externalités de
l’éolien est donc de 150 €/kW/an.
Mais, en raison de son
intermittence et de son degré
d’imprévisibilité (8) , l’énergie
éolienne devrait par ailleurs
conduire à une augmentation du
dimensionnement des réserves
« d’équilibrage », qui pourvoient
aux aléas de l’ajustement
quotidien entre l’offre et la
demande. Il faut rapprocher l’aléa
éolien des autres aléas qui
déterminent traditionnellement les
réserves d’équilibrage du système
électrique : variations de
température (en hiver) et risque
de perdre subitement les deux
plus grands groupes de
production du parc français.
Tel qu’il est aujourd’hui
dimensionné, le parc électrique
français est capable d’accueillir
une part raisonnable d’éolien
sans qu’il soit vraiment besoin
d’augmenter la taille des réserves
d’ajustement. On estime que,
jusqu’à 5 GW de puissance
installée d’éoliennes en France, le
surcoût occasionné est quasiment
nul et que, pour 10 GW, il
faudrait envisager quelques
centaines de MW de réserves
supplémentaires, ce qui peut être
considéré comme raisonnable.
Mais, au-delà, l’aléa éolien
deviendrait « dimensionnant »
pour les réserves d’équilibrage,
cela induisant des surcoûts
substantiels.
Enfin, le développement de
l’éolien nécessite une évolution et
un renforcement du réseau de
transport d’électricité permettant
de transporter l’électricité produite
vers le réseau, puis vers
l’utilisateur. L’installation de ces
nouveaux équipements est
beaucoup plus lente, en
moyenne, que la construction
des aérogénérateurs eux-mêmes :
7 ans, contre 2 ans pour installer
une ferme d’éoliennes.
En raison de ce décalage, si les
investissements nécessaires ne
sont pas consentis et si les délais
administratifs ne sont pas
raccourcis, le risque
d’affaiblissement du réseau
deviendrait important dans le cas
d’un développement significatif
de l’éolien. En effet, les
aérogénérateurs sont souvent
installés dans les plaines où le
réseau n’est pas très dense. On
estime là encore à 5 GW la
puissance installée qui pourrait
être accueillie sans surcoût
notable (9)
. Mais, dans la réalité,
l’éolien se développe évidemment
là où il y a du vent et, surtout, là
où il est accepté par les riverains
– ce qui ne correspond pas
nécessairement aux zones
disposant d’un bon réseau. En
conséquence, il faut compter
avec 3 milliards d’euros
d’investissements supplémentaires
pour l’adaptation du réseau à un
parc éolien terrestre d’environ
20 GW d’ici à 2020 (10), ce qui
représente un coût souvent
négligé de 13 €/kW d’éolien
installé.
Au total, ces éléments montrent
qu’il est raisonnable d’estimer le
coût annuel complet de l’éolien
terrestre à environ 163 €/kW, si
la puissance installée reste
inférieure à 10 GW. Au-delà, les
externalités négatives dues à
l’intermittence de l’énergie
éolienne deviendraient plus
significatives ce qui renchérirait
encore plus ce moyen de
production du point de vue de
la collectivité. Ce coût ne doit
évidemment pas être comparé au
tarif d’achat garanti de l’éolien
puisqu’il ne prend pas en compte
les marges des industriels du
secteur mais que, en revanche, il
comptabilise les externalités
générées par l’éolien. À noter
enfin que, en ce qui concerne
l’éolien offshore, les coûts sont
sensiblement supérieurs, en
particulier pour ce qui concerne le
raccordement au réseau. On peut
retenir un coût de 275 €/kW (11) en
comparant les tarifs d’achat entre
l’éolien terrestre et le offshore.
Côté « recettes », il faut estimer
ce que l’installation d’un kW
éolien sur le réseau permet
d’économiser :
– d’une part en puissance
installée de turbine à gaz pour le
passage des pointes extrêmes de
consommation, ces pointes
susceptibles d’intervenir dans les
périodes exceptionnelles – une
année sur dix ou sur vingt – où le cumul des aléas menace
l’équilibre de l’offre et de la
demande ;
– d’autre part en énergie, lorsque
l’énergie produite par les éoliennes,
quand elles tournent, permet de
réduire la production de centrales
nucléaires ou thermiques.
• Pour ce qui est de la puissance
que 1 kW d’éolien peut garantir
statistiquement, en période de
pointe extrême où
toutes les puissances installées
disponibles doivent être
mobilisées : une seule éolienne
isolée ne peut rien garantir ; un
parc infini, fonctionnant en
moyenne 25 % du temps de
façon totalement aléatoire,
garantirait 25 % de sa puissance,
soit 0,25 kW. Selon Météo
France, le parc réel, avec des
régimes de vent complémentaires,
garantirait 0,20 kW. Soit une
économie de substitution de
7 € (12) par kW.
• Quant aux économies
d’énergie, on peut admettre
qu’aujourd’hui 1 kWh éolien se
substitue à 75 % à du thermique
à flamme (charbon, gaz) et à
25 % à du nucléaire (13), mais cet
écart se réduit à mesure que la
part de l’éolien progresse. Des
simulations, basées sur un développement
de l’éolien de l’ordre de
17 GW de puissance installée en
2015, montrent que le kWh éolien
se substituerait environ pour un
tiers au nucléaire, un tiers à du
thermique à flamme « étranger »
(c’est-à-dire évitant la combustion
de pétrole, gaz ou charbon dans
les pays où la France exporte de
l’électricité) et un tiers à du
thermique à flamme français (14).
Ces proportions dépendent
toutefois fortement de l’évolution
de la demande intérieure
d’électricité sur cette période et
doivent donc être prises avec
précaution. Comme une éolienne
tourne à pleine puissance un
quart du temps en moyenne,
c’est-à-dire qu’1 kW installé
fournit environ 2 100 kWh dans
l’année, l’économie réalisée est
égale à 80 €/kW d’éolien
installé (15).
Au total, face à un coût annuel
du kW éolien de 163 € (275 €
pour l’offshore (16)), les économies réalisées chaque année sont donc
de 87 €/kW d’éolien.
Dès lors, si les objectifs du
Grenelle sont atteints, c’est-à-dire
si 25 GW d’éolien sont installés
d’ici à 2020, avec une hypothèse
de 17 GW de terrestre et 8 GW
d’offshore, le surcoût annuel
serait égal en moyenne à
1 milliard d’euros sur la période
2008-2020 et dépasserait les
2,5 milliards au-delà de 2020 –
auxquels il faudrait ajouter les
surcoûts correspondant à un
redimensionnement des réserves
d’ajustement, puisque la limite
des 10 GW d’éolien serait
largement dépassée. Avec 25 GW
installés, les émissions de CO2
seraient ainsi limitées, d’après les
calculs réalisés par l’ADEME, de
16 millions de tonnes par an, soit
environ 150 € par tCO2 évitée.
Aujourd’hui, le prix de la tonne de
CO2 est estimé à 20 € et des
études prospectives de la
puissance publique se basent
sur des fourchettes allant jusqu’à
100 € (18). Le développement de
l’éolien n’est donc pas la solution
économique la plus appropriée
pour limiter les émissions de gaz
à effet de serre en France :
d’autres solutions comme le
développement de la biomasse,
l’installation de pompes à
chaleur ou l’isolation de
bâtiments anciens, permettent
des diminutions d’émissions
de CO2 équivalentes à un coût
moindre pour la collectivité (19).
Cela étant, combien peut-on
construire d’éoliennes sans trop
affecter le réseau ? Le bilan
prévisionnel de RTE montre qu’un
développement modéré de l’éolien
à hauteur de 7 GW d’ici 2015
(contre 2,4 installé début 2008)
permettrait d’accompagner la
hausse de la demande sans trop
se substituer au nucléaire et sans
que l’intermittence n’induise de
surcoûts vraiment importants. De
plus, les données utilisées dans
les calculs précédents peuvent
subir des variations fortes et
imprévisibles (prix des matières
premières par exemple), il est donc
concevable d’essayer de diversifier
le parc de production électrique
pour se prémunir en partie contre
les risques. Enfin, l’énergie
éolienne contribue, à sa mesure,
à l’indépendance énergétique de
l’Europe. C’est là un des objectifs
prioritaires des pays de l’Union,
objectif qu’il est délicat de valoriser
en termes financiers.
Un scénario raisonnable serait
donc de développer à moyen
terme l’éolien et le gaz de
manière à compenser la hausse
de la demande et à remplacer
les groupes au charbon les plus
polluants en attendant que la
relance du nucléaire permette de
mettre en service dès que
possible de nouveaux EPR
(au-delà de Flamanville 3), au
plus tard en 2020. Il faut
toutefois noter que, si l’on tient
compte des permis de construire
accordés, la puissance acquise en
éolien est déjà légèrement
supérieure à 7 GW. Dès lors, il
serait avisé de ne maintenir les
subventions publiques qu’au
bénéfice des projets en cours, et
de laisser ensuite le marché
décider si l’installation
d’éoliennes supplémentaires est
économiquement rationnelle.
3. Des mécanismes
d’incitation publique
inutilement généreux
Même si l’envolée du prix du
pétrole rapproche l’énergie
éolienne de la rentabilité, du
moins si on la compare au gaz ou
au charbon, on ne peut échapper,
à court terme, à la nécessité
de subventionner ce type
d’investissement.
Trois possibilités s’offrent à
la puissance publique :
• Tout d’abord, l’État peut
instaurer un système de
certificats verts : il demande à
chaque énergéticien de produire
une partie de son électricité à
partir d’énergies renouvelables
(EnR), à défaut de quoi le
producteur d’électricité doit
acheter un certificat vert sur le
marché. Ce mécanisme présente
l’avantage de permettre un
pilotage précis de la part d’EnR et
d’inciter les acteurs du marché à
installer les éoliennes là où il y a
le plus de vent. Pour qu’il soit
efficace, ce mécanisme devrait
toutefois être établi à l’échelle de
l’Europe – encore que certains
pays (Scandinavie, Belgique)
l’utilisent déjà.
• L’État peut aussi avoir recours à
des appels d’offres permettant de
faire jouer la concurrence et
d’utiliser au mieux l’argent public.
Cette manière de procéder ne
convenait sans doute pas à une
industrie naissante, mais on peut
estimer que les acteurs de l’éolien
ont aujourd’hui atteint un niveau
de maturité suffisant. Il est vrai,
cependant, que des appels
d’offres ralentissent les procédures
et rendent plus aléatoire, sur le sol
national, l’acceptation locale des
champs d’éoliennes. Le temps est
révolu où l’État pouvait décider
de l’implantation de moyens de
production sans consulter les
populations locales. Dans le cas
de l’offshore, en revanche, l’appel
d’offres ne pose pas ce problème
car l’État est propriétaire des mers.
• C’est la troisième possibilité qui
a été retenue en France, comme
d’ailleurs dans de nombreux
autres pays européens, celle de
l’obligation d’achat. Celle-ci a été
fixée par un décret de 2006 à
82 €/MWh pendant 15 ans. Ce
mécanisme a l’avantage de
donner de la visibilité aux acteurs
du marché, mais pose le difficile
problème de la fixation du niveau
de ce tarif d’achat garanti. En
effet, si un prix trop bas ne
permet pas d’attirer les
investisseurs, un prix trop haut
génère des rentes indues au
détriment de l’intérêt général.
Les autorités publiques sont ainsi
amenées à estimer la rentabilité
des projets éoliens en fixant un
objectif de taux de rendement
interne (TRI) sur projet (20), 8 % en
l’occurrence. C’est en ce sens qu’un
décret est paru en 2006 pour fixer
les nouveaux tarifs d’achat.
La Commission de régulation de
l’énergie a émis un avis (consultatif)
négatif sur ce décret, en se basant,
elle, sur un calcul du TRI limité
aux seuls fonds propres. En effet,
avec une obligation d’achat garanti
sur 15 ans qui rend pérennes les
revenus, il est très facile de
solliciter des banques pour
soutenir des projets éoliens et de
profiter ainsi d’un fort effet de
levier accroissant le TRI : en
moyenne, un projet éolien est
aujourd’hui financé à 80 % par
de la dette (21) ! De plus, d’autres
mécanismes d’incitation fiscale,
comme la possibilité d’amortir
exceptionnellement les éoliennes
sur 12 mois (22) pour payer moins
d’impôt sur les sociétés, font
du TRI sur fonds propres le seul
indicateur pertinent. Or, selon la
CRE, ce taux de rendement serait
en moyenne de 22 %, et pourrait
monter jusqu’à 40 % pour des
sites très ventés (23), à comparer
avec un niveau cible de 13,5 %
largement susceptible d’attirer
les investisseurs.
L’actuel tarif d’achat garanti
représente donc un soutien
disproportionné à la filière
éolienne, entrant en contradiction
avec l’article 36 de la loi POPE
(Programme orientation politique
énergétique) qui dispose :
« Le niveau de cette prime
ne peut conduire à ce que la
rémunération des capitaux
immobilisés dans les installations
bénéficiant de ces conditions
d’achat excède une rémunération
normale des capitaux, compte
tenu des risques inhérents à ces
activités et de la garantie dont
bénéficient ces installations
d’écouler l’intégralité de leur
production à un tarif déterminé. »
On ne se préoccupe d’ailleurs
pas assez de l’identité du
payeur final du dispositif. Le tarif
d’achat est supposé être financé
par la CSPE (24), qui figure sur
toutes les factures d’électricité
des consommateurs. Avec la
montée du prix de marché de
l’électricité, cette CSPE a été
mécaniquement réduite,
puisqu’elle est calculée en faisant
la différence du tarif d’achat avec
le prix de marché. C’est donc
EDF qui supporte le coût réel de
l’obligation d’achat puisqu’il est
obligé d’acheter de l’électricité
(non garantie) à plus de 82 € le
MWh alors que, en moyenne sur
l’année, son coût de production
marginal (pour du kWh garanti)
est de l’ordre de 40 €. Tant que
l’éolien est peu développé, ce
surcoût est faible et donc
aisément supportable par
l’opérateur historique.
Cependant, nul doute qu’in fine,
il se retrouvera sur la facture
d’électricité des consommateurs.
Si l’éolien se développe selon
les objectifs du Grenelle, le
surcoût par foyer pourrait
atteindre 100 €/an, la CSPE ne
représentant alors qu’une petite
part de ce total.
4. Propositions
Il paraît clair que le dispositif
actuel est excessivement incitatif,
coûteux et susceptible de devenir
inutilement très coûteux. Nous en
proposons donc une inflexion à
partir des six propositions
suivantes.
Proposition 1 - Établir un
chiffrage officiel du véritable coût
de l’éolien
Les données officielles sur le coût du
développement de l’éolien en France
font cruellement défaut. Dans un
souci de transparence, il serait utile
que soit publiée une évaluation
officielle des objectifs fixés par le
Grenelle de l’Environnement en
matière d’éolien. Les seules données
dont on dispose aujourd’hui sont les
montant annuels de la CSPE,
dont on a vu qu’elles n’étaient
absolument pas un indicateur
pertinent pour juger du surcoût
global de l’éolien pour la société.
Proposition 2 - Mettre fin au
tarif d’achat garanti et procéder
exclusivement par appels d’offres.
L’industrie éolienne est aujourd’hui
parvenue à une maturité suffisante
pour que le soutien public à cette
filière passe par des appels d’offres.
Cette procédure permet à la
collectivité de payer le juste prix,
de retenir les sites les mieux ventés
et d’éviter un développement anarchique
des éoliennes sur le territoire.
Elle est aujourd’hui facilitée
par la mise en place des ZDE (25).
Le plus important, c’est de ne
pas combiner les différents
mécanismes d’incitation,
contrairement à ce qui se passe
aujourd’hui pour les éoliennes
offshore où les tarifs d’obligation
d’achat faussent les réponses des
appels d’offres en fixant un prix
plancher.
Mais ce recours aux appels d’offres
ne doit constituer qu’une première
étape : au-delà d’une certaine
puissance installée (typiquement
entre 7 et 10 GW), la hausse du
prix du pétrole aidant, l’éolien
devrait pouvoir se passer de
toute subvention publique, son
développement étant alors soumis
à sa seule rentabilité intrinsèque.
Proposition 3 - Planifier
le renforcement du réseau
parallèlement au développement
de la filière éolienne
Les objectifs ambitieux de
développement de l’éolien
impliquent que le réseau soit étendu
et renforcé. Cela passe en particulier
par une accélération des procédures
administratives nécessaires pour
l’installation de nouvelles lignes afin
d’éviter des délais trop importants.
Si ces précautions ne sont pas
prises, le risque de défaillance du
réseau électrique deviendra très
important. On pourrait même arriver
à la situation absurde où des
éoliennes seraient construites sans
pouvoir être raccordées, obligeant
l’État à indemniser des promoteurs
sans bénéficier d’électricité
supplémentaire.
Il faut également permettre au
gestionnaire du réseau d’envoyer à
distance aux éoliennes des ordres de
déconnexion, comme c’est déjà le
cas en Espagne, pour éviter qu’une
surproduction imprévue n’en vienne
à déclencher les lignes électriques et
à mettre le réseau en péril.
Proposition 4 - Équilibrer
les implantations d’éoliennes entre
les différents régimes de vent
Pour bénéficier au maximum de
l’effet de foisonnement et donc
mieux gérer le caractère intermittent
de l’énergie éolienne, il faut que la
puissance installée dans chaque
régime de vent soit du même ordre.
Ce n’est pas ce qu’on observe
aujourd’hui, puisque beaucoup
d’éoliennes sont installées, et
encore plus sont en projet, en zone
continentale (Champagne, Picardie,
Lorraine…) et peu dans la zone
méditerranéenne. Cette disparité
géographique entraîne une plus
forte variabilité de l’électricité
produite par le parc éolien français
et surtout une puissance potentielle
en hiver moindre, car le vent souffle
plus en hiver sur le pourtour
méditerranéen. Le risque de
défaillance lors d’événements
anticycloniques froids s’en trouve
accru.
Proposition 5 - Établir un bilan
prévisionnel de l’équilibre
offre/demande d’électricité et
développer les interconnexions au
niveau européen
L’ouverture du marché européen
et le développement des
interconnexions entre les pays
poussent à établir ce type de bilan
au niveau européen. Le développement
de l’éolien accentue ce besoin
afin de gérer au mieux les problèmes d’intermittence et de pouvoir
dimensionner les réserves au plus
juste. Le moment approche où il
faudra aller plus loin en créant un
centre européen de coordination de
l’électricité chargé d’harmoniser les
règles de fonctionnement des
échanges transfrontaliers et de
préserver la sécurité de
fonctionnement du système
électrique européen (26). Par ailleurs,
une amélioration des modalités
d’accès et une certaine
augmentation des interconnexions
électriques entre la France et ses
voisins, même si cela est de plus en
plus difficile à faire accepter aux
populations locales, permettrait
d’exporter plus de nucléaire en base
et donc d’éviter que l’éolien ne s’y
substitue trop, en particulier durant la
nuit. Il s’agit sans doute là d’une piste
intéressante pour limiter le surcoût de
l’éolien pour la collectivité.
Proposition 6 - Parler d’énergie
non-carbonée en plus d’énergie
renouvelable
L’Union européenne dans son
paquet « Énergie-Climat » et la
France dans sa loi POPE fixent
des objectifs de 21 % d’électricité
d’origine renouvelable. Cet objectif
de moyen n’est pas directement
lié à celui de diminuer de 20 %
ses émissions de GES. Il serait
opportun de fixer un objectif
d’énergie non-carbonée (qu’on
pourrait fixer à 50 %) à côté de
l’objectif d’énergie renouvelable
pour tous les pays de l’Union
européenne. Une autre solution
consiste à laisser chaque État libre
de choisir les moyens de limiter
ses émissions de CO2, qu’il décide
d’investir dans les énergies
renouvelables, dans le nucléaire,
dans la séquestration du carbone
pour les centrales à charbon ou
dans les trois à la fois. Le recours
massif à l’éolien est peut-être
une solution pertinente pour
l’Allemagne qui possède de
nombreux groupes au charbon et
qui refuse le nucléaire, il l’est
nettement moins pour la France.
5. Conclusion
Le développement de l’éolien en
France ne répond pas à un
besoin, étant donné la sobriété du
parc de production électrique
français en terme de CO2. Selon
les calculs auxquels nous avons
procédé plus haut, l’objectif de
25 000 MW affiché lors du
Grenelle de l’Environnement se
traduirait, s’il était atteint, par
un surcoût annuel moyen de
1 milliard d’euros d’ici à 2020 et
de 2,5 milliards au-delà, soit
environ 100 € supplémentaire
par foyer et par an.
Par ailleurs, les taux de rentabilité sur fonds
propres observés chez les
promoteurs éoliens sont incontestablement
disproportionnés par
rapport au bénéfice qu’en tire la
collectivité et se traduisent par
des rentes de situations indues.
Enfin, même si là n’est pas l’objet
de cette étude, on rappellera
pour mémoire que les éoliennes
s’accompagnent de nuisances
sonores et, surtout, esthétiques
(voir encadré) sérieuses.
Toutefois, dans un contexte de
hausse de la demande
d’électricité et de fermeture
programmée de certains groupes
à charbon polluants, un
développement modéré de
l’éolien en France, de l’ordre de
7 à 10 GW à moyen terme,
permettrait de diversifier le mix
électrique français tout en
réduisant les émissions de gaz à
effet de serre et en participant à
la sécurité énergétique de notre
pays. Sous une telle hypothèse,
dont la réalisation est déjà
pratiquement engagée, les
externalités dues au renforcement
du réseau ou au redimensionnement
des réserves restent
contenues.
Au-delà de ce seuil, un arrêt des mécanismes de subvention
publique s’impose, les acteurs du
marché de l’électricité décidant
s’il convient ou non de poursuivre
le développement de l’énergie
éolienne.
Enfin, il faut avoir conscience que
le véritable enjeu pour limiter les
émissions de gaz à effet de
serre issues de la production
d’électricité en France n’est pas à
trouver du côté des éoliennes ou
de l’offre en général, qui est déjà
très sobre en C02. C’est du côté
de la demande que nous pouvons
faire des progrès et apporter
notre contribution à l’objectif
européen de réduction des
émissions de gaz à effet de serre.
Nous pourrions en effet aisément
favoriser le lissage de la courbe de
charge européenne, puisque, à
elle seule, la France consomme la
moitié de l’électricité produite
en pointe en Europe – ce qui
accroît la probabilité que soient
mobilisées des centrales à
charbon ou à hydrocarbure.
La mise en œuvre de politiques
de maîtrise de la demande
d’électricité devrait donc être la
priorité absolue du décideur
public français en matière de
développement durable.
Vincent Le Biez,
Ingénieur-élève au Corps des Mines.
1 Source : Université de Louvain
qui a réalisé une analyse cycle de vie
(ACV) de l’éolien et qui estime des
émissions de 0,008 tCO2/MWh contre
0,05 tCO2/MWh pour le nucléaire,
0,1 tCO2/MWh pour le solaire
photovoltaïque, 0,4 tCO2/MWh
pour le gaz et 1 tCO2/MWh
pour le charbon.
2 Données : Bilan prévisionnel de
RTE de 2007 (1 GW = 1 000 MW
= 1 000 000 kW).
3 Le foisonnement éolien est la loi
statistique qui fait que, à tout instant,
la probabilité de voir toutes les
éoliennes simultanément en panne
de vent est plus faible que celle
qui pèse sur chacune d’elles prises
séparément.
4 Données DGEMP, valeurs pour
l’année 2007.
5 Données calculées pour l’Europe
des 15, source Union européenne.
6 Hypothèse haute prise par
la Commission de régulation
de l’énergie dans son avis du
27 juillet 2006 sur le tarif d’achat
garanti de l’éolien. Aujourd’hui, le
Syndicat des énergies renouvelables
parle même de 1 600 €/kW installé,
ce qui renchérit l’éolien de 20 €/kW
installé par rapport au calcul proposé.
7 Pour les investissements privés,
le taux d’actualisation usuellement
retenu est de 8 %. Pour les
investissements publics, on retient un
taux d’actualisation de 4 % en se
fiant au rapport du Commissariat au
Plan de 2005 intitulé « Révision
du taux d’actualisation des
investissements publics », coordonné
par Daniel Lebègue.
8 Rappelons au passage que ce
qui compte pour les réserves
d’équilibrage, ce n’est pas tant les
variations de production d’une
éolienne prise individuellement mais
le degré d’imprévisibilité du parc
éolien dans son ensemble.
9 Calcul réalisé par RTE en 2003,
à l’époque on estimait entre 6 et
7 GW la puissance directement
raccordable au réseau. Depuis, plus
de 2 GW ont été installés.
10 En tenant compte du renforcement
du réseau de transport et de
distribution. Estimation faite par
André Merlin, ancien président
de RTE, en 2002.
11 Pour obtenir ce coût, on prend
celui de l’éolien terrestre calculé
précédemment et on le multiplie
par le rapport des prix d’achat garanti
de l’éolien offshore et de l’éolien
terrestre.
12 En considérant que les moyens
de pointe sont des turbines à
combustion, dont la durée de vie est
estimée à 25 ans et dont le coût
d’installation est de 280 €/kW selon la
DGEMP (coûts de référence de la
production d’électricité) soit une charge
annuelle de 23 €/kW avec
un taux d’actualisation de 8 %, à laquelle
on ajoute 12 € de charge fixe annuelle.
On aboutit donc à un coût évité de 7 €
par kW d’éolien.
13 Source : ADEME « Le contenu en CO2
du kWh électrique », octobre 2007.
C’est principalement en pleine nuit que la
production nucléaire est marginale.
14 Source : Bilan prévisionnel 2007 de
RTE, comparaison entre les tableaux des
pages 63 et 67.
15 L’économie correspond à un coût évité
du kWh nucléaire de 11 €/MWh et à un
coût évité du thermique à flamme de
50 €/MWh (données CRE, réévaluées pour
tenir compte de la montée du prix du gaz).
Le coût évité moyen est donc de
37 €/MWh.
16 Voir note 11.
17 Source : Global Wind Energy Council
dans son rapport 2006.
18 La DGEMP évalue la tonne de CO2
entre 20 et 100 €.
19 Source : rapport de la
commission Énergie du Centre
d’analyse stratégique « Perspectives
énergétiques de la France à l’horizon
2020-2050 », présidée par Jean
Syrota.
20 Taux de rendement interne,
taux qui annule la valeur
actualisée nette (VAN).
21 Source : Commission de
régulation de l’énergie
dans son avis du 27 juillet 2006
sur le tarif d’achat garanti
de l’éolien.
22 Article 39AB du Code
général des impôts.
23 Avis de la Commission
de régulation de l’énergie
du 27 juillet 2006.
24 Charge de service public de
l’électricité, qui comprend, en plus du
soutien aux énergies renouvelables, la
péréquation tarifaire pour les zones
non connectées au réseau comme les
DOM-TOM et le financement des
tarifs sociaux
25 ZDE : Zones de développement
de l’éolien, définies par le préfet
sur proposition des maires, au sein
desquelles s’applique le tarif d’achat
garanti.
26 Proposition issue du rapport
du Centre d’analyse stratégique
« Perspectives énergétiques de la
France à l’horizon 2020-2050 »,
paru en octobre 2007.
27 (dans l'encadré) Une proposition de loi
du sénateur Philippe Marini
a été déposée en ce sens.