Je m’appelle Philippe Leroy. Je suis agriculteur dans la Somme. J’élève mes
bêtes dans la tradition familiale, sur la terre de mes ancêtres. J’aime mon
travail, et, à bientôt 60 ans, je peux vous dire que ce que j’observe n’est pas
normal.
Nous avons 5 éoliennes fraîchement installées à proximité de notre
exploitation. Deux sont environ à 600 mètres, et il y en a des dizaines un peu
plus loin. De toute façon, la Somme est un département massacré, où qu’on se
tourne on ne voit plus que ça : des champs d’aérogénérateurs à perte de vue.
Au départ, en tant qu’élu de ma commune, j’étais plutôt pour cette
installation. Il faut dire que les promoteurs y vont à grand renfort de
brochures, de schémas et de promesses d’argent pour convaincre les mairies. Et
ça marche. Pour quelques moulins, on vous promet la voirie refaite à neuf,
alors on fonce. Et puis on déchante … et on souffre.
Le nouveau parc a été mis en marche en Décembre. En un mois, j’ai perdu 5
veaux. Les petits naissent, mais vous avez beau les surveiller la nuit pour
essayer de les faire téter, rien n’y fait, ils refusent tout, le pie ou le
biberon, et ils se laissent mourir de faim. Je n’avais jamais vu ça auparavant.
Ensuite, les éoliennes se sont arrêtées. Il paraît que les autorisations
d’exploiter n’étaient pas aux normes. Toujours est-il que j’ai aussitôt vu la
différence : dans mon troupeau, tout est redevenu normal. Et puis
l’exploitation du parc a repris, et avec lui, son lot de bizarreries au niveau
des naissances. Une vache, c’est comme les humains, ça met 9 mois pour mettre
bas. En juin, l’une de mes bêtes a mis 15 mois pour vêler. Le vétérinaire est
passé deux fois pour l’ausculter, on a tous pensé que c’était une erreur de
date d’insémination. Elle a accouché d’un veau mort-né énorme, de plus de 80
kg. Mais ce n’est pas tout : mes laitières ont aussi donné naissance à des
jumeaux, avec des femelles stériles, comme c’est souvent le cas. On pourrait
dire que c’est un malheureux hasard, un cas isolé, mais quand ça vous arrive 6
fois de suite, alors là, non, je vois bien qu’il n’est pas nécessaire d’être un
scientifique pour dire qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
Et pour les vaches adultes, mes pertes sont aussi importantes. Un jour,
l’une d’elles était couchée, si faible qu’elle refusait de se lever. Avec mon
frère, on a essayé de la mettre sur ses pattes, mais elle s’est remise
allongée, sans force, et elle est morte un peu plus tard dans un coin du
bâtiment. Dans cette même stabulation, j’ai voulu y soigner une autre bête qui
venait de subir une césarienne. Elle s’est laissé mourir au même endroit que la
précédente. Avant, si je perdais deux vaches adultes dans l’année, c’était le
bout du monde. Et là, j’en perds deux le même jour…et pour finir j’ai perdu
aussi deux veaux et un petit broutard dans les mêmes 48 heures.
Mon exploitation est composée de plusieurs bâtiments, et au milieu, il y a
un petit chemin communal. Sans nous consulter, le promoteur éolien a creusé des
tranchées pour y enterrer les câbles électriques qui raccordent les éoliennes
au poste relai. Est-ce sans danger ? Les câbles font 8 cm de diamètre, ils sont
enterrés sous les pieds de mes bêtes, et je n’ai pas mon mot à dire.
Je n’ai pas non plus mon mot à dire pour le bruit : chez moi, c’est
infernal. Ce n’est plus du tout la campagne, c’est un peu comme si j’habitais à
proximité d’un aéroport qui n’arrêterait jamais de tourner. J’ai protesté,
demandé des études, ils sont venus placer des capteurs au mois de juillet. Mais
cela n’a servi à rien, parce que les éoliennes tournent très peu l’été, et ce
n’était pas les vents dominants. J’ai protesté à nouveau, et j’ai demandé à ce
que les capteurs soient mis en place plus longtemps, et surtout en hiver, quand
leurs machines tournent à plein régime. Mais pour l’instant, je n’ai pas de
réponse.
Comment pouvons-nous faire pour nous défendre ? Ces parcs électriques sont
installés chez les gros exploitants. Nous, les petits, il ne nous reste que les
yeux pour pleurer. Leurs machines sont téléguidées depuis les villes. On voit passer
de temps à autre un responsable, ils viennent principalement de Paris ou du
Nord. C’est sûr, ce ne sont pas eux qui se lèvent la nuit pour soigner les
bêtes, ce ne sont pas eux non plus qui iront constater que, depuis que les
aérogénérateurs sont en place, on ne voit plus passer un seul oiseau migrateur
dans le ciel. Leur promesse, c’était : « vous aurez un beau village », la
réalité est tout autre : les pigeons ramiers ne passent plus, des veaux
crèvent, et on vit sous le bruit de leur usine.
Alors, maintenant que je sais, je voudrais m’adresser à tous ceux qui
envisagent de laisser entrer les promoteurs sur leurs communes. Je voudrais
leur dire : en tant qu’élu, on s’interroge sur le devenir de nos enfants qui
subissent les ondes : pensez à vos gosses, à leur santé, pensez à vos terres, à
vos maisons qui ne valent plus rien. Vous aurez un beau village. Mais il sera
désert.
Témoignage recueilli par Sioux Berger
Février 2021