Des animaux qui meurent, des hommes malades, deux agriculteurs au bord de l’asphyxie financière. Depuis l'implantation d'un parc éolien en 2012 à Nozay, entre Nantes et Rennes, les services de l’État semblent désemparés face à des effets secondaires aussi alarmants qu’inexpliqués. Une situation qui préoccupe jusqu’au ministère de la Transition écologique.
Dans un vrombissement régulier, les
pales des éoliennes fendent l’air, une centaine de mètres en surplomb des
pâturages. Le vent d’ouest souffle et le ciel s’anime en ce mercredi d’hiver,
aux alentours de Nozay (Loire-Atlantique), en bordure de la N137 qui relie
Nantes à Rennes. Au pied des huit turbines qui tournent à pleine vitesse, les
arrêtés préfectoraux s’amoncellent,
cloués sur des poteaux en bois. « C’est sûr que notre histoire, c’est une
histoire de fous », soupire, en regardant droit dans les yeux, un agriculteur
du coin. Du côté de la préfecture de la Loire-Atlantique, on concède, par la
voix de son secrétaire général, Serge Boulanger, « [qu’] on est devant une
situation atypique, pour laquelle on se doit de trouver des explications ».
Cette « histoire de fous » affecterait
aujourd’hui des dizaines d’habitants de quatre communes voisines (Nozay,
Abbaretz, Puceul, Saffré) et frappe surtout durement deux exploitations
agricoles , installées autour des éoliennes.
« On va crever dans tous les sens du terme, financièrement ou au niveau de
notre santé », s’alarme l’éleveuse Céline Bouvet, 44 ans, aussi déterminée
qu’épuisée par cinq années d’un combat kafkaïen mené au côté de son homologue
Didier Potiron, 50 ans. Aucun des deux ne se décrit pourtant comme
“anti-éolien”. Ils ont même décliné toutes les offres de service de collectifs
d’opposants.
Tout débute fin 2009 quand l’entreprise
toulousaine ABO Wind vend aux deux exploitants un projet (ancien) de champ
éolien, exploité par KGAL, un énorme fond d’investissements allemand qui en possède une soixantaine. L’argumentaire
est tentant : « Ça sera tout bénéfice pour vous ». La promesse ? Respectivement
2000 et 4000 euros annuels pour le fonctionnement d’une partie du parc éolien
des Quatre seigneurs, mis en route en septembre 2012. Le début des ennuis pour
ces deux exploitants du cru qui ont repris des fermes familiales.
« Le parc éolien le plus étudié de France »
« Chez nous, cela a commencé par des
problèmes de mammites [inflammation de la mamelle des vaches, ndlr]. On est
obligé de jeter le lait, car il est rempli de caille et de grumeaux. Après ça a
été l’explosion, les vaches refusent parfois de monter dans les salles de
traite où font demi-tour à l’approche des éoliennes, comme s’il y avait une
barrière électrique invisible. Au niveau fécondité c’est aussi devenu une
catastrophe », liste-t-elle, dans une étable, au milieu de sa trentaine de
vaches laitières.
La synthèse de la dizaine d’expertises
réalisées dans le cadre du GPSE (Groupe permanent pour la sécurité électrique
en milieu agricole) confirme le tout, au printemps 2015. « La coïncidence
chronologique avec les travaux de construction puis la mise en route de
l’éolienne est suffisamment troublante pour justifier des investigations
complémentaires (…) Elles sont absolument indispensables pour essayer de
comprendre ce qui se passe dans ces élevages », y conclut son auteure, la
professeure émérite Arlette Laval de l’Oniris (école vétérinaire de Nantes),
pourtant sceptique au départ. Une alerte que l’on retrouve quasiment mot pour
mot dans les longs rapports vétérinaires et médicaux concernant les deux
exploitations, dont les équipements ont été définitivement mis hors de cause par
les experts.
La préfecture veut « continuer à explorer »
La préfecture veut « continuer à explorer »
Sur celle de Didier Potiron, où pâturent
près de 75 bêtes, la perte financière a été évaluée par un cabinet
indépendant : 93 000 euros sur une seule année, pour une entreprise agricole
qui affiche 300 000 euros
de chiffre d’affaires. En cause : la surmortalité des vaches, notamment les
plus jeunes, avec une cinquantaine de décès par an. « Il faut une gestion
extrêmement rigoureuse pour arriver à s’en sortir. On fait zéro investissement,
on est toujours à la limite. C’est révoltant par ce que depuis le début on est
transparents et au bout de six ans, on en est toujours au stade des expertises.
Pour moi le dossier a été bâclé par les services de l’État », lance-t-il. Cette
accumulation de problèmes a poussé les deux agriculteurs – et une dizaine de
riverains, nous y reviendrons – à déposer plainte contre la ferme éolienne des
Quatre seigneurs dès l’été 2014 puis, à nouveau, en 2017. Tout en privilégiant
le dialogue et la collaboration, pour l’instant…
Selon notre décompte, pas moins de 20 études de tous ordres ont déjà été réalisées sur place. « Je
crois que c’est le parc éolien qui a été le plus étudié en France », glisse
Patrick Bessière, PDG d’Abo WIND, qui indique au passage que « la
discussion avec les exploitants n’est pas toujours sereine ». Un même
géobiologue, décontenancé, est venu des dizaines de fois. Un haut-fonctionnaire
de la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du
logement, qui chapeaute
l’éolien) a lui eu beaucoup de mal à
cacher son irritation devant ces problèmes inexpliqués. « Pour le moment, sur
le plan scientifique, ces études n’ont pas permis de faire le lien entre le
parc éolien et les symptômes constatés chez l’être humain et l’animal. Ça ne
veut pas dire qu’il y en a pas, mais ça ne veut pas dire qu’il y en a un. On se
doit de continuer à explorer les choses », note Serge Boulanger, le numéro 2 de
la préfecture de Loire-Atlantique. La piste de la relocalisation des
exploitations n’est néanmoins plus tabou. Dans un courrier que nous nous sommes
procuré, la préfecture écrit qu’elle y travaille avec la Chambre d’agriculture
du département.
Conséquence d’un arrêté préfectoral pris
en urgence l’été dernier, une inédite campagne de tests a débuté mi-janvier,
sous l’égide d’Oniris et de cabinets spécialisés : « On met l’ensemble du parc
à l’arrêt, puis on va rebrancher les éoliennes une par une pour voir si cela a
un impact sur le comportement animal et les êtres humains, détaille Serge
Boulanger. Cela n’avait jamais été fait jusqu’ici ». La perte liée à l’arrêt du
parc se fait sans compensation pour l’exploitant, KGAL, et les tests sont
financés à hauteur de 25 000 euros par une enveloppe publique du ministère de
l’Écologie, une première – jusqu’ici constructeur et exploitant privés
réglaient la facture, alimentant des soupçons de partialité des études. L’intervention de Nicolas Hulot
Car l’affaire a pris une tournure
politique. « L’été dernier, une vache pisse le sang, morte au pied d’une
éolienne. C’est le quatrième décès dans la journée », relate un agriculteur.
Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, est alerté, par le
parlementaire LREM (ex PS) de la circonscription, Yves Daniel, lui-même issu du
monde agricole. « Au nom de l’application du principe de précaution dans
l’éolien pour lequel je me bats depuis des années » (il avait posé une question
écrite sur
le sujet dès l’automne 2014), explique ce dernier, qui souhaite néanmoins rester
discret sur ce « dossier sensible ». Dans la foulée d’un entretien informel
avec le parlementaire, le ministère de l’Écologie prend les choses en main
depuis Paris. Il est vrai que localement les maires des communes concernées
préfèrent ne pas évoquer l’affaire. La Communauté de Communes de la Région de Nozay compte deux parcs éoliens et d’autres projets
attendent dans les cartons. Quant à celui des Quatre seigneurs, il rapporte à
lui seul pas loin de 84 000 euros par an à la collectivité, dont les élus n’ont
jamais donné suite à nos demandes d’interview.
Pourtant, le temps presse. Outre les
animaux, les riverains se plaignent aussi de « troubles du sommeil
importants », ce qui a conduit une dizaine d’entre eux à se joindre au combat
des exploitants. À l’image de Renate, une retraitée franco-allemande venue
s’installer ici il y a 30 ans : « C’est simple, je me réveille toutes les nuits
à deux du matin sans pouvoir me rendormir. Quand je dors ailleurs par contre,
tout va bien ». Un témoignage recoupé par de nombreux autres que nous avons
recueillis.
Certaines pathologies sont encore plus
préoccupantes : kyste qui ne se résorbe pas chez un adolescent, cancer qui
s’accélère chez un riverain, crises d’épilepsies, inflammations musculaires,
etc. La fatigue ou l’anxiété fragilisent-elles les corps ? Ou s’agit-il
d’un effet nocebo (l’inverse de l’effet placebo) ? « Quand vous
allez aux urgences, on vous dit que le problème c’est vous », soupire une
habitante. En attendant, les boites de médicaments s’accumulent dans les
cuisines et les placards des riverains des éoliennes, qui réclament depuis plusieurs
années une étude d’impact sur la santé humaine. « Quelque chose se fera dans
les mois à venir sous l’égide de l’Agence régionale de santé (ARS) »,
annonce-t-on du côté de la préfecture, sans plus de précisions sur un
calendrier ou sur un périmètre.
Sols humides, câble en cuivre et bactéries
En attendant, les autorités butent sur
la question que tout le monde se pose : d’où vient exactement le problème avec
ces éoliennes ? Si le mouvement des pales fait l’objet d’un certain nombre de
travaux – et aussi de fantasmes – c’est le champ électromagnétique généré par
les câbles de 20 000 volts enterrés pour raccorder les huit éoliennes au réseau
EDF qui concentre les investigations. Surtout que les sols humides des environs
de Nozay sont drainés par des rivières souterraines : une importante quantité
d’eau a été pompée pendant les travaux d’installation.
Cette hypothèse est défendue par Allain
Lamy, 71 ans, ancien cadre d’EDF : « Des bactéries dites magnétotactiques s’en
serviraient pour proliférer dans l’ensilage des fermes [l’alimentation des
animaux, ndlr], dont la température est déjà montée 20 degrés au-dessus de la
température ambiante. Pour en avoir le cœur net, il faudrait pousser de vraies
investigations sur le sujet », ajoute ce Nantais qui soutient depuis trois ans
les exploitants du parc éolien des Quatre Seigneurs.
Serge Boulanger, secrétaire général de
la préfecture de Loire-Atlantique le reconnaît : « il y a une particularité
dans ce parc éolien : chaque éolienne est reliée aux autres par un câble en
cuivre. On appelle ça une liaison équipotentielle, pour une mise à la terre
commune, alors que sur d’autres parcs on a une mise à la terre par éolienne.
Mais il peut y avoir aussi, sans liens avec l’éolien, l’influence d’un faisceau
radar aéronautique, la proximité d’une ligne à haute tension, etc. »
Si l’exploitant allemand KGAL, n’a jamais
répondu à nos sollicitations et semble ralentir toutes les procédures, le
fabriquant du parc, la société toulousaine Abo WIND, s’explique, elle, par courriel : « Nous avons toujours porté une attention
particulière aux problèmes évoqués par les riverains. Ceci est toujours le cas
durant la phase de développement, mais également durant la phase
post-implantation. Ce n’est pas pour autant que le parc éolien n’est pas
conforme aux normes et réglementations en
vigueur… »
Une fin de non-recevoir qui ne satisfait
évidemment personne. Tandis que les investigations se poursuivent, la FNSEA 44
et les Jeunes agriculteurs 44, qui suivent l’affaire de près, ont monté un groupe de travail pour recenser les
problèmes inexpliqués et élaborer une charte d’implantation des éoliennes. En
regardant leurs pales tourner, l’éleveuse Céline Bouvet ne peut retenir un
soupir : « Si par bonheur on trouvait de quoi ça provient… Mais il y a
tellement d’enjeux financiers… A côté, nous on est des merdes ».
Quatre exploitations concernées ?
Un troisième exploitant agricole connaît
depuis 2012 des problèmes analogues. Craignant une mauvaise publicité qui
pourrait aggraver ses difficultés financières, il n’a entamé aucune démarche et
ne souhaite pas s’exprimer publiquement. Une quatrième exploitation, qui a
acquis récemment des terres au pied du parc éolien pourrait également être
concernée.
Collection d’expertises
Outre les rapports des vétérinaires locaux et ceux de l’école vétérinaire
de Nantes, on peut citer celui du cabinet spécialisé dans les énergies
renouvelables 8.2. Les cabinets, Aemc, Cetim, Consultelec, Emitech, ou encore
Dekra sont intervenus pour ce qui concerne les mesures magnétiques ou
électriques, Cerema pour l’impact sonore, Sixense Environnement pour les
vibrations. L’audit technique et financier a été réalisé par le cabinet
Aexpertis. Sans oublier les services de l’État, DREAL, DDTM, les organismes
agricoles ou encore les géobiologues…
Dix ans pour être bénéficiaire
La SAS Ferme éolienne de Nozay affiche, à
la lecture des derniers comptes disponibles (septembre 2017), 1 million d’euros
de perte. Rien d’inhabituel, puisque les spécialistes de l’énergie verte
estiment qu’un parc éolien devient rentable au bout d’une dizaine d’années, en
moyenne. De son côté, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de
l’énergie (Ademe) évalue à vingt ans
environ la durée de fonctionnement totale
d’un parc éolien. Les turbines de Nozay tournent depuis six ans…
Hypothèses, hypothèses…
Joint au téléphone le PDG d’Abo Wind,
Patrick Bessière, complète et envisage plusieurs hypothèses pouvant exclure la
responsabilité du parc éolien. « Un mât GSM a été monté au même moment que
le parc et il y a aussi la proximité de la ligne de tram-train
Nantes-Châteaubriant [inaugurée en 2014, à 6 kilomètres du parc, ndlr]. Ça n’a
pas fait l’objet d’investigations pour l’instant ».
➤ Loire-Atlantique : Nozay : vent d'inquiétudes sur le parc éolien
https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/nozay-vent-inquietudes-parc-eolien-1630092.html
Reportage sur la page
Dans la région de Nozay, un mystère entoure le parc éolien des Quatre seigneurs. Animaux d’élevage en surmortalité ou victimes de nombreux troubles du comportement, habitants également touchés par des maux de gravité diverse… Ces problèmes, mis sur le compte d’ondes produites par les aérogénérateurs, mais difficiles à relier scientifiquement parlant, s'accumulent. Aujourd'hui, riverains et animaux sont à bout de souffle.➤ « Les éoliennes ont détruit notre élevage »
Didier, éleveur à Puceul (Loire-Atlantique)
«Depuis sept ans, notre vie est empoisonnée par des éoliennes. Tout a commencé en 2006, quand un promoteur nous a contactés. Au départ, ma femme et moi, producteurs de lait et de viande, étions plutôt pro-éolien. Nous avons accepté, et l’une des turbines a été construite sur nos terres. En 2012, les huit ouvrages, de 150 mètres de haut, ont été mis en route. Six se situent à moins...
http://www.lafranceagricole.fr/loisirs/les-eoliennes-ont-detruit-notre-elevage-1,6,1804834436.html
➤ Vers un "scandale sanitaire" en région de Nozay ?
➤ Vers un "scandale sanitaire" en région de Nozay ?
https://drive.google.com/file/d/1Bd4vH0ey-KoLyE1z8U339S6Vq1E-opxe/view?usp=sharing
➤ Loire-Atlantique : Des vaches laitières troublées par des éoliennes
Reportage en ligne