https://ventdebretagneromantique.wordpress.com/2016/07/20/linvestissement-citoyen-comment-concilier-bonne-conscience-et-rentabilite-financiere/comment-page-1/#comment-3
On parle tellement d’investissement citoyen et d’économie collaborative, qu’il y a sans doute un moment où, ayant lu que les habitants auront la possibilité d’investir dans le parc éolien qu’on veut planter près de chez vous, vous vous êtes peut-être demandé si ça ne vaudrait pas le coup de clore votre Livret A, qui ne rapporte plus rien, de casser les tirelires des enfants, et de demander à votre belle-mère si elle n’aurait pas quelques billets cachés sous son matelas, afin de placer ce pactole dans ces ventilateurs géants que sont les éoliennes, apportant ainsi votre contribution à la lutte contre le réchauffement climatique.
Il parait que pour 500 à 1 700 €, on peut acheter une part dans un parc éolien. Le dossier d’enquête publique du projet de parc éolien de Québriac, dans notre Bretagne Romantique, indique que le promoteur propose d’ailleurs cette possibilité, et M. le Maire a eu plusieurs fois l’occasion de préciser, dans les journaux locaux, que c’est justement pour cette raison que la Société IEL a été choisie par la municipalité (sous-entendu préférablement à d’autres promoteurs éoliens qui, eux, sont de vilains capitalistes, car ils n’ont pas cette éthique de l’investissement citoyen).
Le dernier numéro du magazine Le Particulier (juillet-août 2016) m’a interpellée, sur les étals de la Maison de la Presse, par son titre de couverture : « Investissez citoyen et rentable ! ». Tout un programme…
Le magazine en main, et tout en patientant à la caisse derrière une demi-douzaine de personnes qui venaient acheter des tickets à gratter ou valider une grille de loto, je méditais sur la promesse qui semble faite au lecteur, par ces mots juxtaposés : « citoyen » et « rentable », de la possibilité d’un arrangement, dans la conscience de tout un chacun, entre des aspirations à une citoyenneté dont on ne sait trop ce qu’elle englobe au juste, mais dont on est sûr que « c’est bien », et des aspirations d’enrichissement sans effort, qui, elles, sont beaucoup moins nobles. Il s’agit de réconcilier, dans la tête du public, l’idée de citoyenneté (qui évoque l’honnêteté, la pureté, la générosité, le bénévolat, l’aide apportée aux autres et à son pays, que sais-je encore…), avec l’idée de spéculation financière (qui évoque tout le contraire !).
Ainsi, quand il s’agit d’énergies renouvelables, par exemple, on comprend qu’on va décomplexer tout le monde : en même temps qu’on déleste le citoyen de ses économies, on le libère de ce qui peut subsister en lui de l’écologie à la papa des années soixante-dix et de vieux scrupules, restes d’un héritage catholique poussiéreux, voire même d’un vague fond de communisme marxiste. Des vieilleries, en tous cas, qu’il convient de jeter par-dessus les moulins !
On se doute bien, par ailleurs, qu’en donnant ainsi aux riverains d’un parc éolien la possibilité d’investir dans ces machines industrielles qui vont leur pourrir la vie, on achète du même coup leur acceptation du projet. Oh, on ne leur donne que la portion congrue : moins de 10 % du coût du parc éolien.
N’ayant pas beaucoup « d’argent à placer », comme disait ma grand-mère, je me suis intéressée d’abord à la façon dont le sujet de l’investissement citoyen et rentable est illustré, sur la couverture du Particulier de juillet-août.
Ainsi qu’il est de mise pour ce type de sujet, l’illustration comprend l’inévitable dessin d’une éolienne. Oh, très discrète, l’éolienne ! Mais elle est bien là, comme un message subliminal, à peine plus grande que la fleur (en forme de billet de banque !) qui pousse à son pied, et à peine plus haute aussi que l’usine dessinée à côté. Alors que les éoliennes actuelles font 150 m de hauteur, et même plus…
L’arrosoir que tient une main anonyme, la vôtre, la mienne, celle du citoyen qui cultive des euros comme on cultive des petits pois, cet arrosoir déverse des pièces de menue monnaie sur des plantes, qui donnent alors ces fleurs (ou ces fruits… puisqu’on dit de l’argent qu’on peut le faire « fructifier ») en forme de billets d’euros. Même un enfant de 5 ans peut comprendre : tu sèmes des centimes, tu laisses pousser, et tu récoltes des euros. Et l’enfant, s’il est un peu précoce, peut surveiller la croissance de ses placements sur une application adéquate (créée par une start-up elle-même financée de façon citoyenne) sur le smartphone de papa. La tirelire en forme de cochon que sa marraine lui a offert pour ses 5 ans, on pourra toujours la vendre au vide-grenier !
Pour continuer dans les méandres des messages transmis par ce dessin, qui pourrait être enfantin, s’il n’en était aussi diaboliquement chargé de propagande, on y voit un drapeau bleu-blanc-rouge qui flotte sur l’usine. Peut-être pour faire croire que ces industries nouvelles, c’est du made in France ? On suppose aussi que le drapeau est là pour renforcer l’idée de citoyenneté… On ne sait trop… En matière de communication, on joue sur la suggestion, l’ambiguïté. Ce qu’il faut, c’est atteindre le public au niveau de ses émotions, de ses désirs, ses aspirations, ses croyances et ses peurs.
A l’intérieur du magazine, c’est à peu près la même illustration que celle de la couverture, que l’on retrouve au début de ce dossier consacré à l’investissement citoyen, mais là, on voit que la main était celle d’un jardinier en salopette et à cheveux blancs. Et ce n’est pas un hasard, car il faut attirer les retraités, ce sont eux qui ont le plus d’argent à placer, et qui sont aussi les plus sensibles à « l’environnement » (souvenirs de leur jeunesse écolo des années 70)… Avec les jeunes… mais ceux-là n’ont pas d’argent. A la page suivante, les plantes à billets ont poussé, elles sont aussi grandes que le jardinier, et leurs fruits-billets de banques se sont multipliés. L’éolienne, l’usine et le drapeau sont toujours là, en arrière-plan.
Mais venons-en aux faits : si j’ai investi 4,90 € dans cet exemplaire du Particulier, c’est quand même aussi pour savoir si ça vaut le coup, ou non, de placer de l’argent dans un parc éolien ! Mon horoscope me promet souvent « une rentrée d’argent exceptionnelle et inattendue ». On ne sait jamais…
Et là, je suis un peu perdue, car l’article mélange investissement dans des micro-fermes ou des magasins de producteurs locaux, le soutien à des PME au moyen du « crowdfunding », très à la mode actuellement, le prêt d’argent à des petites entreprises, et même le soutien sous forme de don pour aider des artistes, par exemple, dons qui ne rapportent pas de dividendes, bien sûr, mais qui donnent droit à des contreparties sous forme de livres, albums, place de concerts, etc. Tout ça, c’est bien généreux. Et si c’est créateur d’emplois, si ça donne un coup de pouce à des jeunes créateurs de start-ups aux dents longues, pourquoi pas ?
Mais pour être vraiment dans le vent, on vous propose aussi « d’accompagner directement la transition énergétique ». Et là, ça y est, vous êtes là où ça se passe, vous êtes au coeur du réacteur, si l’on peut dire, vous allez être un acteur de cette transition énergétique, vous allez peser du poids de vos petites économies pour que la transition se fasse et qu’on puisse enfin « se passer du nucléaire ».
Le Particulier, qui est devenu votre ami, votre conseiller, au fil de votre lecture, vous glisse à l’oreille que si vous êtes « un épargnant sensible au développement durable », vous êtes invité à vous rapprocher de plateformes qui financent parcs éoliens, centrales solaires ou hydrauliques, sous forme de prêts ou d’obligations. On vous promet « une épargne au rendement attractif (de 3 à 6 % par an) et relativement sécurisée, EDF garantissant le prix d’achat de l’énergie ainsi produite ». C’est EDF qui garantit, mais c’est vous qui payez, par la taxe CSPE qui figure sur vos factures d’électricité, mais ça on ne vous le dit pas. Et on ne vous dit pas non plus ce qui se passerait si EDF, soudain, ne rachetait plus l’électricité produites par les énergies renouvelables 2,5 plus cher que le tarif payé pour les autres sources d’énergies…
L’encadré de la page 32 montre la photo d’une « animatrice nationale » (sic) d’une société d’investissement citoyen, qui anime des réunions d’information pour les futurs investisseurs. Son nom est écrit en grand sur un écran derrière elle. On devine que sa prestation sera accompagnée de vidéos présentant l’éolien sous un jour favorable. Elle est jeune et belle, mais coiffée et habillée simplement, en pull et jeans. Pas de tailleur pour les VRP des sociétés qui portent « un projet collaboratif d’énergies renouvelables » ! Il faut faire écolo, inspirer confiance à toutes les générations. Pourtant, en la voyant, on ne peut s’empêcher de penser à ces grands-messes où, dans les années 80, des gogos venaient se délester de leur argent au profit de sociétés pyramidales, sous les exhortations d’un gourou made in America. Mais dans l’investissement citoyen, ça se joue sur un tout autre mode. Quoi qu’il en soit, la jeune femme fait des promesses alléchantes : 4 % brut par an sur 10 ans, pour les investisseurs. Mais notre ami le Particulier nous avertit : « Attention… les activités de production d’énergie n’ouvrent pas droit aux réductions d’impôts ». Et là, des baby-boomers qui ont une bonne retraite et paient beaucoup d’impôts doivent tiquer un peu…
A une autre page, on comprend que l’investissement dans les énergies renouvelables a un autre but :
« Même si les producteurs d’énergie n’ont pas tous besoin de financement, cela permet de créer une dynamique autour d’un projet et d’en renforcer l’appropriation par les citoyens », explique la directrice d’une société qui a réuni 750 000 € pour soutenir 10 projets d’énergies renouvelables.
Ah ! Nous y voilà !
Les producteurs d’énergie n’ont pas tous besoin de financement par les particuliers, on le savait déjà : avec les baux emphytéotiques signés par les propriétaires de terrains, les promoteurs éoliens obtiennent ce qu’il leur faut auprès des banques et du secteur de la banque-assurance.
Reste « l’appropriation par les citoyens ». Et ça, c’est le nerf de la guerre. On essaierait même presque de leur faire croire, aux citoyens, que ce projet, eh bien c’était leur idée, au départ !
Mais il ne faut pas se leurrer, les citoyens ne sont propriétaires de rien du tout, dans cette affaire. Bien au contraire, ils se retrouvent, une fois le parc éolien planté près de chez eux, dépossédés de leurs biens les plus précieux, des valeurs qui ne sont pas cotées en bourse : la beauté des paysages, la richesse de l’Histoire, inscrite, gravée dans les châteaux, les monuments et les lieux de grandes batailles, la géographie de ces paysages, que la présence des éoliennes bafoue, pollue, par leur visibilité envahissante, et puis aussi la santé des habitants, la tranquillité de leur cadre de vie, leur bien-être, le fait de se sentir bien chez soi, le silence de leurs nuits et leurs ciels étoilés.
Mais, honnête et lucide, votre ami Le Particulier s’interroge, en conclusion de ce dossier spécial investissement citoyen :
« Citoyenne, la finance participative ? Oui, dans la majorité des cas, « même si certains porteurs de projet profitent de l’engouement autour de ce secteur pour faire parler d’eux ou pour se donner une image citoyenne, alors qu’ils n’ont nullement besoin de financement », décrypte un expert ».
Nous ne sommes pas expert, mais nous l’avions deviné.
Je ne regrette pas mes 4,90 €… C’est de l’argent bien placé, qui rapporte information et réflexion !
