Dans le cadre de la transition énergétique, le gouvernement vient d'arrêter la Programmation pluriannuelle des investissements (PPI) dans l'électricité dite « renouvelable ". On y trouve pour le photovoltaïque, l'éolien terrestre et l'éolien maritime la puissance installée planifiée pour 2018 et pour 2023. Mais rien sur le coût de ces décisions. Le gouvernement a-t-il calculé, puis caché ce coût ? Ou l'ignore-t-il ? Il fait penser à un gosse de riches qui va dans un magasin chic faire ses emplettes sans même regarder les étiquettes. Courons le risque de passer pour des grippe-sous, ou même pour des comptables (« horresco referens " !), et cherchons à évaluer ce coût, exercice plutôt facile.
Pour chacun des trois renouvelables cités, la programmation nous donne (en milliards de watts) la puissance du parc en 2018 et en 2023 et, donc, l'augmentation de puissance décidée. On a par ailleurs des estimations (fragiles) du coût d'un investissement de 1 milliard de watts : 2 milliards d'euros pour le photovoltaïque, 1,8 pour l'éolien terrestre, 4,8 pour l'éolien maritime. On obtient ainsi le coût du programme arrêté pour les cinq années 2018-2023 : environ 48 milliards d'euros.
Il faut y ajouter les dépenses d'investissement à engager pour le développement du réseau de transport de l'électricité. Comme la consommation n'augmente pas et que le réseau actuel est suffisant, les lignes nouvelles prévues (en plus des investissements de renouvellement) se justifient uniquement par la géographie nouvelle des installations de renouvelables. RTE, le responsable du réseau, estime cet investissement à 1 milliard par an, soit 5 milliards pour la période considérée. Au total, le PPI implique donc environ 53 milliards d'investissement, soit près de 11 milliards par an.
La note est lourde : un peu plus que le budget du ministère de la Justice (8 milliards), un peu moins que celui de l'Enseignement supérieur (13 milliards). Il faut la comparer avec les gains qu'elle permet.
Qu'a-t-on pour cette dépense ? De l'électricité. Une installation photovoltaïque produit de l'électricité pendant environ 1.300 heures par an, l'éolien terrestre pendant 2.200 heures et l'éolien marin pendant 3.000 heures. Un calcul simple permet d'estimer l'augmentation de production associée au programme officiel : 42 TWh (térawatt-heures). Cela représente 9 % de notre consommation et 10 % de notre production d'électricité nucléaire.
Le comparaison avec le nucléaire s'impose. Puisque la consommation d'électricité est pratiquement constante depuis une dizaine d'années (et tout suggère qu'elle le restera), la France n'a pas besoin d'augmenter sa production. Personne n'imagine réduire la production d'électricité hydraulique ni même la production d'électricité au gaz (faible, et nécessaire pour faire face aux pointes de demande). 42 TWh de plus de solaire et d'éolien, c'est donc 42 TWh de moins de nucléaire. Soit la fermeture d'environ 6 centrales nucléaires. Cela représente une économie. Nos centrales ont en effet besoin d'une mise aux normes - ce qu'on appelle le « grand carénage » - à un coût d'environ 1 milliard par centrale. En fermer 6 représente une moindre dépense de 6 milliards.
En termes économiques, le programme arrêté consiste donc à dépenser 53 milliards afin d'en économiser 6. (Une analyse plus complète prendrait en compte : l'économie sur les dépenses de combustibles nucléaires; les coûts supplémentaires dus à l'intermittence imprévisible du soleil et du vent; et les implications industrielles de la décision, mais ne changerait sans doute guère les ordres de grandeur.) En termes environnementaux, ce programme apporte-t-il un gain ? Nullement : l'électricité renouvelable produite ne rejette pas de CO2, l'électricité nucléaire évincée non plus.
Le plan gouvernemental d'électricité solaire et éolienne pour les cinq ans à venir apparaît donc comme un gaspillage d'un peu moins de 50 milliards d'euros. Ne pas engager ces investissements permettrait de produire exactement la même quantité d'électricité en 2023, et d'économiser cette dépense. La facture sera finalement payée par les consommateurs d'électricité ou par les contribuables. Le plan gouvernemental s'analyse comme une augmentation d'impôt de près de 10 milliards par an. En pis, en bien pis, car l'argent de nos impôts est (généralement) dépensé en créant de l'utilité, ce qui n'est pas le cas ici. Il offre un exemple caricatural de la façon dont nos décideurs décident : comme on aime, sans compter. La politique a ses raisons que la raison ne connaît point.
Rémy Prud'homme est professeur des universités