A celles et à ceux qui se demandaient :Comment continuer à saccager, enlaidir, piller, asservir dans l’enthousiasme général ?Comment faire semblant de changer d’énergie sans rien changer de notre société ni de notre mode de vie ?
Les bonnes âmes de la destruction massive ont trouvé une réponse, parmi d’autres : l’éolien industriel ! Cette trouvaille est une synthèse. Grâce à elle, les fanatiques de la pollution propre ont de quoi jubiler et la caste techno-industrielle peut se réjouir à l’idée de concentrer toujours plus de pouvoirs entre ses mains. La fuite en avant peut continuer, la croissance se renouveler sans limite, les objets inutiles et nuisibles encombrer ce qui reste d’espace pour la vie… L’éolien va alimenter « la clim partout dans son logement, la piscine en plein hiver dans son jardin », les tablettes, les smartphones, les Facebook, les selfies, les data centers, l’industrialisation du monde tous azimuts… A quand les panneaux publicitaires et les élevages hors-sol autonomes en énergie grâce aux champs d’éoliennes ? C’est peut-être déjà fait, qui sait. Et grâce aux villes, aux compteurs et aux objets intelligents, la surveillance et la rationalisation générales seront optimisées, la contrainte sera consentie. Le nouvel ordre énergétique étend son empire, l’efficacité fait place à la beauté des arbres et des saisons, et le pire qui pourrait arriver, c’est qu’un jour on oublie la lumière d’un châtaignier dans l’automne.
Dans cet univers là, tout devient froid et on a beau faire feu de tout ce qui brûle, on a beau transformer ce qui souffle, ce qui s’écoule en force ardente, quelque chose manque à nos vies, quelque chose qui se dérobe à nous, à notre parole et on est là avec ce qu’on ne peut nommer, mais on essaie quand même parce qu’on sait confusément qu’une porte est à ouvrir et que rien n’est plus impérieux, alors on tâtonne, un peu comme dans ces jeux d’enfant où parfois on brûle, où d’autres fois on a si froid qu’on ne peut plus mettre un pied devant l’autre et c’est avec la même intensité que l’on se débat, grand brûlé ou albatros pris dans les glaces, jusqu’à ce que des mots viennent, des questions : est-ce une source vive, l’affluent d’une parole, les vagues d’une main sur la peau, est-ce tout cela qui manque, qui a tant manqué et qui nous met en état d’urgence quand on espère un signe, quand on cherche sans y parvenir pleinement à l’adresser ?
Je me disperse, sans doute, du propos dont il est question ici : la force du vent dont on fait des profits pour les uns et des pertes pour les autres, pour tant d’autres qu’on ne peut les compter, mais ce que j’essaie de dire, au fond, n’est pas sans rapport avec ce qui nous anime, ce qui fait de nous des vivants, des combattants dans le monde froid des machines. Ce n’est pas de l’énergie du vent, du feu ou de l’eau dont nous avons tant besoin pour l’essentiel, c’est d’un autre souffle, celui d’un frère humain, d’une sœur d’âme, d’une vie sacrée de trois fois rien qui ne serait pas de notre famille, de notre pays, de notre espèce, ce n’est rien d’autre que de préserver ce qui fait de nous des humains, même si parfois c’est difficile, même et surtout si l’on frôle les gouffres qui s’ouvrent en nous. Les abîmes sont des chemins vers les cimes et à en vivre, à en mourir, que faire d’autre qu’aimer ?
Je reviens à mon propos liminaire.
Quand les énergies classiques – pétrole, gaz, charbon, nucléaire… – ne seront plus compétitives, il faudra continuer à faire tourner la machine à détruire ce qui reste de vie naturelle, d’inattendu, d’inespéré. Place à l’éolien industriel, donc. A noter que l’industrie solaire accomplit de belles prouesses aussi, en matière de fléaux (lire « Le soleil en face » aux éditions L’échappée, collection Négatif dirigée par Pièces et main d’œuvre).
Vous les appelez comment, celles et ceux qui vendent du vent, se gargarisent d’énergie propre et s’enrichissent au passage sur le dos des « communautés indigènes expropriées », sur la peau des millions d’exterminés du carnage industriel ? A mes heures gracieuses et policées, je les nommerais bien des « philouthropes », et peu m’importe qu’ils ou elles soient de droite, de gauche, d’Escrologie les verts ou de je ne sais quels chapelle, mafia, industrie ou collectif.
Est-il encore nécessaire de le rappeler ? La croissance verte, le développement durable et solidaire sont des mystifications, inséparables de la fabrique de nouveaux besoins, de gadgets superflus et prédateurs, de l’effet-rebond, ce mécanisme insidieux par lequel une réduction de coût, d’énergie ou de ressources d’un bien se traduit par une augmentation de son usage, par une consommation accrue d’un autre bien. Ainsi, les nouveaux modèles de voitures brûlent moins de carburant, mais nous roulons davantage, nous les renouvelons sans modération, nous faisons venir des marchandises de l’autre bout du monde, nous utilisons toujours plus l’avion et de technologies énergivores… Au final, l’économie de départ se solde par une gabegie plus importante. Et l’on voudrait se féliciter d’un tel gaspillage ?
Tant que nous resterons dans une société de croissance et de développement, nous n’aurons rien à espérer des soi-disant énergies propres.
Si l’éolien devait avoir un avenir estimable à mes yeux, il aurait un tout autre visage. Je l’imagine auto-construit et auto-réparable, à l’échelle d’un foyer ou d’un quartier, s’inscrivant dans une « réduction des besoins », une « décroissance » volontaire (On peut prononcer le mot désormais, même le Pape le revendique).
Ce n’est pas la voie retenue par nos énarques et par nos ingénieurs des Mines, des Ponts et des Charniers, ça ne le sera jamais tant que l’hédonisme marchand, la toute-puissance technologique seront nos dieux intimes et collectifs ; ce capitalisme – que d’aucuns dénoncent avec véhémence comme s’il nous était extérieur – nous est consubstantiel, pour ainsi dire ; plus ou moins, nous sommes les proies et les carnassiers, les persécuteurs et les cobayes, les spoliés et les bons soldats de la débâcle, les empoisonnés et les empoisonneurs pour qui l’emploi est plus important que la vie, la nôtre et toutes les autres, nous sommes le tortionnaire et le bétail supplicié de la naissance jusqu’au trépas, les contremaîtres et les employés en batterie troquant leur vie, leur liberté contre un salaire. Même si, et je ne le sais que trop, certain(e)s sont plus responsables que d’autres, même si nous sommes un certain nombre à chercher le chemin pour nous libérer de ces chaînes.
Dans cette roue qui tourne sous l’impulsion de notre course folle, le seul horizon, c’est l’emballement. L’éolien, quand il participe à cette démesure, ne fait que nous précipiter vers le néant et ce ne sont pas les dogmatiques de la croissance verte qui me feront prendre des messies, les leurs – des leurres – pour des lanternes, si j’ose cet à-peu-près. Que l’on puisse se laisser abuser par de tels escrocs, c’est, me semble-t-il, le cœur du désastre où nous sommes. […]