La Dépêche du Midi
Anti-éoliennes : la vie sur le pont du Rec
Depuis début juin, une partie des habitants de Saint Sernin, des Zadistes et autres sympathisants anti-éoliens, ont fait de ce petit bout de terre de la Haute Vallée, le pont du Rec, un territoire à part où les éoliennes, foi d'opposants, «ne passeront pas».
Le projet de parc éolien de la commune de Bouriège n'est pas nouveau. Le projet est né il y a plus d'une décennie, mais c'est seulement depuis quelques mois que la vie dans le village a été largement chamboulée. Après plusieurs années de bataille juridique, le promoteur Valeco, qui a récupéré le projet récemment, tente à présent d'acheminer les éléments éoliens sur le parc de St Pierre Le Clair. C'était sans compter sur la détermination de certains habitants de Saint Sernin, farouchement opposés au parc. Depuis le début du mois de juin et l'arrivée des premiers camions, ces derniers ont décidé de «camper» de part et d'autre de la route, sur des propriétés privées, pour contrecarrer les projets de Valeco.
Une détermination à toute épreuve
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'après plus de deux mois de présence sur le bord de la route, malgré le vent de ces derniers jours et les quelques gouttes de pluie qui s'invitent de temps à autre, l'ambiance reste chaleureuse, la détermination intacte.
«Ce n'est pas tous les jours un plaisir d'être ici, c'est même parfois pénible, mais on reste là», assure l'un des habitants.
Du matin au soir, les sympathisants se réunissent. Habitants de Saint Sernin, des communes alentour comme Toureilles, ou plus éloignées, et même des départements limitrophes, les soutiens qui se sont succédé ici sont nombreux. À 5 ou à 20, les journées se ressemblent. Petit gueuleton tous les midis, discussions animées autour du projet du parc de Saint Pierre le Clair, ou de tous autres projets éoliens qui fleurissent aux quatre coins du pays.
Mais la contestation ne se résume pas à s'asseoir sur le bord de route. Les élus, notamment la députée de la 3e circonscription Mireille Robert ou le président du conseil départemental André Viola, ont tous depuis des mois été alertés sur la situation du pont du Rec. Les habitants des communes alentour aussi, par le biais de tracts, de pétitions, sont également mis à contribution. La dernière pétition en date, contre l'arrêté départemental qui limite la circulation sur la D52, a récolté 287 signatures. «On est isolé, coupé du monde, en pleine période estivale et touristique. De plus les vendanges commencent bientôt… L'isolement du hameau de Saint Sernin est inacceptable et complètement inutile».
Deux socles d'éoliennes ont été acheminés sur le parc en juin, non sans mal, les quatre autres attendaient patiemment leur tour au pied de la colline depuis deux mois. Elles sont finalement arrivées au sommet, au grand désarroi des «amis de Saint Sernin» trois jours plus tôt. Pour autant, rien est encore joué. Six camions sont passés, plus de cinquante sont encore en attente, pour amener les pales et autres éléments. Et sur ce point, les opposants sont formels : «Ils ne pourront pas passer. Nous le répétons depuis suffisamment de temps. Les voies d'accès ne sont pas assez larges. Nous nous positionnerons de part et d'autre de la route, nous nous accrocherons aux arbres s'il le faut».
Et de conclure, entre deux parts de pizza et quelques rillettes de thon arrosées de vin blanc : «à la santé du Pont du Rec».
Trois questions au propriétaire du terrain
Willy Moyson est le propriétaire du terrain sur lequel «squattent» les habitants opposés aux éoliennes. Installé dans la région depuis 2010, ce retraité belge est aujourd'hui vigneron.
Vous vous êtes opposés à ce projet dès votre arrivée ?
Personnellement, je n'ai rien contre les éoliennes, les énergies renouvelables en général. Ce qui me révolte dans ce projet, c'est qu'il n'y a eu aucune concertation. Je ne suis pas spécialement contre le projet, c'est contre l'excès de pouvoir que je m'indigne. Parfois, les projets se font en bonne intelligence, et personne n'est venu nous parler, essayer d'expliquer.
Vous vous attendiez à cette situation en arrivant ?
Non, je ne pensais certainement pas rencontrer autant de problèmes lorsque j'ai décidé de m'installer ici. J'étais surtout venu pour être tranquille, m'occuper de mes vignes. Aujourd'hui, on fait tout pour rester dans la légalité, mais ce sont des compagnies face à nous qui se comportent comme des voyous. Quand on a de l'argent, on pense pouvoir faire ce qu'on veut. On m'en a proposé pour avoir accès à mes terres, et on m'a même proposé de racheter ma propriété. Ces gens viennent, et disent «c'est comme ça», sans se soucier de ceux qui vivent ici.
Les vendanges commencent bientôt ?
Oui, les vendanges commencent dans 2 semaines. Dans quelques jours, aux alentours du 21 août, et j'espère que l'on ne rencontrera pas de problème. Avec les camions qui peuvent bloquer la route, avec un arrêté d'interdiction de circulation. On ne peut pas stocker les raisins ici, il faut les descendre à Bouriège matin et soir, à 12 heures et à 18 heures, sous peine de tout perdre.
Une situation parfois tendue
Depuis le 18 juillet dernier, les opposants au projet éolien font circuler dans le village de Bouriège et alentours une pétition réclamant le retrait de l'arrêté départemental réglementant la circulation sur la D52. Jeudi dans la matinée, plusieurs agents du Département de l'Aude se sont rendus sur la D52 et sur le pont du Rec, pour s'assurer que l'arrêté était bien respecté et pour contrôler que «rien» n'empiétait sur le domaine public : voiture, tracteur, barrière, IPN etc. De quoi susciter la curiosité des riverains, et par moments l'agacement. Si les échanges étaient cordiaux et aimables au début, ils se sont peu à peu tendus entre certains des protagonistes.
C'est surtout l'incompréhension qui prédomine chez les «amis de Saint Sernin». Morceaux choisis : «N'y voyait pas là de l'agressivité, c'est juste un questionnement, mais sur notre ressenti, le Département à l'air de bien s'adapter à chaque demande de Valeco». «Vous prétendez vous préoccuper de la sécurité, d'où votre présence ici. Si c'était réellement le cas, les camions ne seraient jamais passés». «On essaye depuis des mois d'être dans la légalité, alors que de l'autre côté on s'en fout ! Moi ça me gonfle». «C'est vous, le Département, qui depuis des mois donnez des autorisations, alors que les voies d'accès ne sont pas assez larges». etc.
Quoi qu'il en soit, des mesures ont été faites par les agents du Département, et à nouveau par les riverains. Des photos ont également été prises, pour constater la pose d'IPN, mesurer la largeur de la route, la dangerosité…
Ce que prévoit l'arrêté départemental du 17/07
Considérant le transport d'éléments pour le parc éolien de la Bruyère, et le gabarit des engins de transport, il est nécessaire de réglementer la circulation afin de sécuriser les usagers. À compter du 18 juillet et jusqu'au 6 septembre, sur la D52, la circulation est interdite à tous les véhicules, sauf les véhicules de transport d'éléments pour le site éolien, les riverains, les forces de l'ordre, les services publics et les services de secours. De plus, le stationnement est interdit à tous les véhicules sauf aux véhicules de transport d'éléments pour le site éolien.
Philippe pous, maire de bouriège
«Ce projet est une chance»
Philippe Pous, maire de Bouriège depuis 2014, a participé, en tant que conseiller municipal de la précédente mandature à la décision d'implanter des éoliennes sur la commune. Arrivé aux responsabilités, il continue de défendre ce projet, qu'il considère comme nécessaire et vital pour la commune.
Vigneron de profession, Philippe Pous ne cache pas son soutien à ce projet, qu'il a contribué à faire naître. Pour lui, les arguments ne manquent pas pour justifier cette position. Et en premier lieu, la manne financière pour une commune de 130 habitants que représentent ces éoliennes : 70 000 € par an, entre le «loyer» que versera Valeco, et les différentes taxes. «C'est ce que paient les Bouriégeois en impôts chaque année», précise le maire. De quoi mettre du beurre dans les épinards et financer de nouveaux projets. Et d'énumérer : développer le tourisme, les manifestations culturelles du village comme le marché nocturne, la fête des vendanges, l'oppidum que la mairie souhaite mettre en valeur, installer l'assainissement public dans le hameau de Saint Sernin… «Quand je suis arrivé aux responsabilités, avec mon équipe, on a dit d'accord à l'éolien, mais à condition que cela rapporte à la commune. Je me suis toujours battu pour mon village, et avec ce projet éolien, j'ai l'impression de faire une bonne action en même temps qu'une bonne affaire», poursuit le maire.
Toujours est-il que la situation semble de plus en plus inextricable entre les habitants de la commune, farouches opposants d'un côté et sympathisants de l'autre. De l'aveu du maire, l'ambiance est très loin d'être au beau fixe. «On se fait parfois copieusement insulter, et les opposants au parc n'ont participé à aucune des manifestations estivales que nous avons organisées» assure-t-il. «En un mot, ils se sont complètement coupé de la vie du village».
Quoi qu'il en soit, le maire Philippe Pous n'en démord pas, le projet verra le jour. Et il se targue d'avoir le soutien de la majorité de ses administrés. «À deux reprises, en 2008 et en 2014, les habitants de Bouriège ont eu l'occasion de s'exprimer dans les urnes, sachant pertinemment quelles étaient les positions de chacun sur ce projet majeur. Et à deux reprises, la liste pro éolienne l'a emporté».
De quoi le faire se sentir droit dans ses bottes.
Depuis son jardin, situé à 2 km du futur parc, les éoliennes seront visibles. «Certes, moins que pour les habitants de Saint Sernin, situé à 1,2 km» concède-t-il, ou pour l'habitant le plus proche, qui se trouvera à un peu plus de 600 m.
Une bataille qui dure depuis des années
Le feuilleton dure depuis déjà 10 ans. Le parc éolien de Saint Pierre le Clair aurait depuis bien longtemps dû voir le jour, dans la commune de Bouriège. Les différents recours des riverains et opposants ont largement retardé ce chantier, qui connaît de nouveaux rebondissements depuis maintenant plus de deux mois. Déjà, en février dernier, une première altercation avait eu lieu entre riverains et promoteur, la société Valeco, lorsqu'elle avait décidé de lancer bulldozers et pelleteuse à l'assaut de la colline menant à la croix de Saint-Pierre. Le 6 juin dernier, la tension est montée d'un cran lorsque les socles d'éoliennes ont été apportés par le promoteur, afin de rejoindre le futur parc. Les riverains, les zadistes installés à proximité et plusieurs membres d'associations anti-éoliennes se sont mobilisés et ont décidé de se positionner de part et d'autre de la route, sur des terrains privés, formant ainsi deux chaînes humaines impossibles à éviter. Et il en est désormais ainsi depuis plus de deux mois. 65 jours exactement que du matin au soir, les habitants du hameau de Saint Sernin et de nombreux sympathisants ont décidé de «tenir» le pont du Rec.
Le 20 juin dernier, nouvelle escalade lorsque les camions stationnés sur la route D52 et bloqués depuis deux semaines ont décidé d'un «passage en force», selon les riverains. Deux plaintes ont été déposées suite à ce passage, pour violence et pour dégradation.
Enfin, deux épisodes judiciaires sont venus s'ajouter au cours du mois de juillet à cette situation rocambolesque. Suite à un arrêté départemental interdisant la circulation et le stationnement sur la D52, la société Valeco a assigné en justice 11 opposants au parc, considérant que ceux-ci bloquaient illégalement le passage de ses camions. Le 11 juillet dernier, l'entreprise avait été déboutée par la justice, considérant que l'arrêté départemental d'interdiction de circulation sur cette route départementale s'appliquait à tous, y compris aux engins de chantier.
Le 17 juillet, à la demande de l'industriel, le département a pris un autre arrêté de circulation, sous réserve de la mise en place d'une déviation, autorisant cette fois-ci le passage des engins dans la journée. Jeudi 27 juillet, une nouvelle audience a eu lieu au tribunal de Carcassonne, la société ayant une nouvelle fois décidé d'assigner plusieurs riverains. La présidente Sylvie Mollat, qui s'est rendue sur place, a préféré laisser au juge administratif le soin de trancher le litige. À suivre.
Le chiffre : 6
éoliennes> Sur le parc de St Pierre Le Clair. Au total, ce sont plus de 60 camions qui doivent emprunter la D52 pour acheminer l'ensemble des éléments pour le parc éolien
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Mais leur courage et leur ténacité seuls ne suffisent pas.
Voici ce que nous dit Agnès :
Enfin, après avoir fait face à 10 ans de tribunal administratif, les factures de ce dernier trimestre : un pourvoi en Conseil d’État, 6 constats d’huissier, 2 relevés de géomètre-expert, 4 référés, 1 recours en excès de pouvoir … commencent à alourdir nos épaules …
Il nous faut quelques « munitions » … supplémentaires, en effet, notre résistance implique sans doute un référé liberté et nous sommes sous la menace d’une astreinte de 500 € par jour … pourrons nous tenir le temps nécessaire ? Que ceux qui peuvent nous le fassent … Envoyez vos dons - chèque libellé au nom de l’association « Les Amis de St. Sernin » et adressé à :
Traverse du Hameau Hameau de St. Sernin
11300 Bouriège
Agnès Roy pour le Collectif des Résistants du Pont du Rec