Plus l’Etat français dépense l’argent public pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, et plus elles augmentent. Un proverbe des Shadoks ? Non, le constat tout à fait officiel et détaillé fait par le ministère dirigé par Nicolas Hulot. La France prend en effet très au sérieux son rôle dans l’action mondiale pour atténuer la menace climatique future. Elle a donc mis au point une Stratégie nationale bas carbone. Laquelle détaille année après année et secteur par secteur les objectifs de diminution des émissions jusqu’à parvenir à -75% en 2050 relativement à 1990. Le fameux « facteur 4 », puisque cela correspond à une division par quatre de ces émissions. Une opération nécessaire si la France veut apporter sa quote-part à l’objectif mondial d’une atténuation de la menace climatique afin de la limiter à une élévation de la température moyenne de la planète de 2°C maximum relativement à la fin du 19ème siècle.
Cette Stratégie ne se contente pas de chiffrer les objectifs, elle liste aussi les moyens mis en oeuvre pour y parvenir : subventions, décisions structurantes, intégration des objectifs climatiques dans l’ensemble des politiques publiques… Tout cela fait très sérieux. Surtout lorsque l’examen du premier bilan dressé par le suivi de cette stratégie démontre son erreur manifeste lorsque l’on examine l’adéquation entre objectifs et moyens, le B et A BA d’une bonne stratégie.
Des émissions qui augmentent en 2016
Les évolutions des émissions d’une année sur l’autre ne sont pas nécessairement représentatives d’une tendance de long terme. Mais l’important, dans une stratégie, c’est l’adéquation des moyens aux objectifs. C’est là que l’on vérifie si l’on sera Napoléon à Austerlitz et pas à Waterloo. La Stratégie nationale bas carbone française se prépare t-elle à la victoire ou à la déconfiture ?
Plus de 5 milliards par an pour… rien
Au regard des chiffres, on s’attendrait à un effort maximal sur les transports, le bâtiment, l’agriculture. Or, que nous apprend le document ministériel sur la distribution de l’effort public ? Que l’écrasante majorité des dépenses pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre est dirigée vers… le secteur électrique. En 2016, sur près de 6,7 milliards recensés (lire page 9 de ce document de suivi des « recommandations transversales » de la Stratégie bas carbone), 3,5 milliards sont consacrés à soutenir l’implantation d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques.
L’indicateur de suivi des « Dépenses publiques de l’Etat en faveur d’une société bas carbone ».
Si l’on se penche sur les objectifs d’ici 2028, détaillés ici, on découvre le pot au roses : l’ensemble du secteur production d’énergie se voit fixé l’objectif… de ne pas diminuer ses émissions, calées à 55 MTeCO2 sur l’ensemble de la période 2015-2028.
La fraude des mots
«La perversion de la Cité commence par la fraude des mots», selon Platon. Le philosophe Grec aurait aimé cet exemple. Où se niche la fraude dans cette affaire de comptes publics ? Tout simplement dans le tour de passe-passe sémantique qui a confondu l’objectif d’atténuer la menace climatique avec celui d’une transformation de notre système électrique visant à y diminuer la part de l’énergie nucléaire. Ce tour de passe-passe trouve son origine dans le combat de forces politiques pour éliminer cette source d’énergie et inclure cet objectif dans la transition énergétique censée nous permettre d’atteindre nos objectifs climatiques.
La question posée ici n’est pas de savoir si l’énergie nucléaire est une bonne ou une mauvaise solution pour notre système électrique. Ni de savoir si éoliennes et panneaux photovoltaïques sont une bonne idée économique et écologique pour le système électrique du pays. Elle est de remarquer que la fraude des mots aboutit à nommer « politique climatique » une action publique – la subvention massive des éoliennes et des panneaux photovoltaïques – dont le résultat climatique est nul tant que cette électricité se substitue à une autre qui est déjà bas carbone. En fraudant sur les mots, la société française se leurre sur son effort en faveur de l’atténuation de la menace climatique. Et elle ne se leurre pas sur une action marginale ou minoritaire, mais sur la majorité de son effort financier.
Un tel aveuglement aboutit par exemple à ne pas se demander si ces milliards annuels ne seraient pas beaucoup plus efficaces s’ils étaient consacrés à l’isolation des bâtiments (chauffés au gaz voire au fioul pour beaucoup), à améliorer les transports collectifs, surtout ceux propulsés à l’électricité, ou à promouvoir une agriculture utilisant moins d’engrais azotés à l’origine de près de la moitié de ses émissions de GES. L’ennui, c’est que la réponse à cette question est oui. En témoigne l’évolution des émissions du secteur des transports où la politique publique actuelle se signale par la promotion du bus (au pétrole) contre le rail (à l’électricité décarbonée), ce qui a déjà fait perdre 250 millions d’euros à la SNCF dont la filiale bus affiche pertes sur pertes :