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vendredi 28 juillet 2017

«On ne se rend pas compte de la valeur de la paix de nos villages»

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Eoliennes Les oiseaux et les infrasons ne sont pas les seuls obstacles aux éoliennes. Selon une chercheuse réputée, le tissu social, fragile, n’est pas assez considéré.


On a cartographié le vent, les zones de nidification, mais pas les Homo sapiens. Selon Marie-Eve Maillé, chercheuse de l’Université du Québec à Montréal qui a consacré sa thèse aux effets des projets éoliens sur les populations, autorités et promoteurs doivent mieux prendre en compte l’impact de la contestation impliquée par les éoliennes. Sur ce sujet, elle était récemment invitée à une réunion des spécialistes de la planification des éoliennes vaudoises, à Yverdon. Au vu des expériences canadiennes, comme le parc éolien de l’Erable dans le Centre-du-Québec, avec ses 50 hélices au cœur d’une véritable saga, la spécialiste assure que des solutions existent pour éviter des grognes éternelles dans les villages. Y compris en terre vaudoise.
Comment expliquez-vous la faculté des projets éoliens à provoquer le débat et les oppositions?
Disons qu’on se dit toujours d’emblée qu’un projet éolien est bon. L’éolien est précédé d’une réputation positive: on en a fait le symbole de la transition énergétique et il est difficile d’être contre. Alors que toute modification d’un milieu, des usages qu’on en fait, peut être une situation stressante pour des habitants.
Quelle est la durée d’une division de la population locale?
Le temps fait son œuvre et atténue les divisions dans la communauté. Mais il faut voir ce qui se passe ensuite. Dans le Centre-du-Québec, la division de 2010 demeure aujourd’hui. Elle est entretenue par les poursuites judiciaires et peut intervenir sur d’autres sujets, comme sur la démolition d’un hôpital désaffecté par exemple. Les gens ont de la difficulté à se parler, ils ne savent plus collaborer. Ensuite cette colère se transmet aux enfants. Ça peut durer pendant des générations.
La vivacité du débat ne peut-elle pas se nourrir d’autres facteurs?
C’est possible. Chez nous, on voit par exemple des communautés partagées entre des ruraux et des nouveaux habitants. Tout se passe bien jusqu’à ce que le projet éolien s’intéresse aux propriétaires terriens. Pour le cultivateur, c’est un revenu bienvenu. Pour le nouvel habitant qui venait chercher la tranquillité et faisait le choix de quitter la ville, l’éolien n’était pas forcément dans son projet de vie.
L’identité des porteurs de projets peut-elle changer la donne?
Les gens peuvent avoir de la méfiance envers une multinationale, ou quand c’est le gouvernement qui fait la promotion de l’éolien avant de donner un préavis sur un parc. Quand une autorité est à la fois promoteur, développeur et arbitre du débat, ça pose problème et ça contribue à radicaliser les positions. Ceux qui s’opposent ont l’impression de devoir démontrer leur force. Ensuite, c’est l’escalade.
De manière générale, quelle erreur commet-on à chaque projet éolien?
Dans tous les projets, on tend à minimiser les préoccupations des citoyens. On entend des «ne vous inquiétez pas ma petite dame, il n’y aura pas de bruit.» Marginaliser les préoccupations ou le nombre des oppositions, c’est semer les graines de la discorde et risquer des déchirures sociales. Or, aucune question n’est illégitime. Même interroger le bien-fondé du projet. La base est d’éviter les conflits sociaux, voire les réduire, les réparer puis les compenser en nature, mais c’est la dernière étape. Mesurer ce que les gens estiment perdre peut être un outil pour se rendre compte et évaluer.
Le débat local est souvent marqué par des opposants déterminés. Comment les intégrer?
C’est le plus grand défi de la pratique, je vois ça aussi dans de la concertation autour de projets miniers par exemple. Il faut comprendre que personne, à de rares exceptions près, ne se lance dans un tel conflit par plaisir. Ces opposants sont réellement motivés par la protection de quelque chose qui leur est cher. Il faut respecter cela. Sauf que tant que leur logique est d’éviter le projet, de le bloquer, le simple fait de discuter avec le promoteur revient pour eux à une forme de collaboration. Et là on n’arrive pas à négocier.
Que faire alors?
Il faut mettre en place le dialogue, et avec un médiateur, un tiers. C’est une culture qui balbutie souvent. Faire appel à quelqu’un qui a la confiance de tout le monde et qui arrive à trouver une zone de raisonnable, cette zone qui permet de faire accepter un projet, de le transformer ou de l’abandonner s’il n’est pas au bon endroit. Elle existe dans l’éolien, j’en suis persuadée. Tant qu’on minimise l’opposition, on ne trouve pas la zone de compromis.
Voilà pour la théorie. Mais en pratique?
Il faut être au contact au plus tôt avec les groupes. Un promoteur doit faire une cartographie humaine: les élus, les associations, les clubs… C’est seulement en trouvant autour de quoi s’associent les gens qu’on parvient à comprendre une région. Connaître le milieu humain est un impératif pour le promoteur. Il doit connaître les gens qu’il va déranger ou qui feront le deuil de leur paysage. Le promoteur doit devenir un visage avec un numéro de téléphone. S’il s’agit d’un site vide ou d’une adresse étrangère, les gens se méfient. C’est comme chez vous, si le promoteur a l’accent zurichois ou semble être éloigné du terrain. L’acceptabilité passe par la confiance, le respect et la compréhension.
Pourtant le système suisse offre des possibilités d’expressions: référendums, recours…
Oui, mais ça revient à limiter leur accès à ceux qui maîtrisent les outils. Il faut un système qui incite les opposants et les promoteurs à trouver des solutions avant. S’il y a une rigidité de gouvernance, avec par exemple des élus qui renvoient à telles institutions, comme ça se voit chez nous, et bien cela pousse à utiliser les voies de recours et à minimiser le dialogue. Mettre le doigt sur les problèmes se fait souvent en dehors de cadres rigides ou institutionnels, et ce le plus tôt possible. Après, un référendum peut être un piège. Chez nous, il y a eu 95% d’acceptabilité d’un programme de compensation. Les 5 ou 10% restant sont toujours en détresse et auront un impact énorme sur la cohésion sociale.
Tout de même. La transition énergétique ne vaut-elle pas ces quelques sacrifices?
Il faut relativiser les investissements. Quelques mégawatts ne valent pas la paix de nos villages. La cohésion sociale, c’est quelque chose qui ne se mesure pas quand tout va bien. Mais la capacité de résilience d’une communauté, sa cohésion ou sa capacité à faire face à des coups durs est essentielle. C’est ce qu’une communauté a de plus précieux de nos jours. Ça ne se chiffre pas. Mais on ne s’en rend compte que quand on l’a perdue. Des communautés brisées, avec des gens qui changent de tables au restaurant ou autre, ça s’apparente à des syndromes post-traumatiques.