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samedi 19 mai 2018

Energie : « Une réduction du nucléaire à 50 % serait l’amorce d’une dynamique de pertes d’apprentissage technologique et industriel »



Dans une tribune au « Monde », l’économiste Dominique Finon et l’ingénieur Henri Prévot expliquent que le gouvernement doit retourner aux fondamentaux de l’analyse des coûts et des bénéfices, pour renoncer à une réduction de la part du nucléaire qui ne repose que sur des critères politiques.

LE MONDE ECONOMIE | 12.05.2018 | Par Dominique Finon et Henri Prévot 


[La préférence française pour le nucléaire est au coeur du débat public qui a lieu jusqu’au 30 juin sur la « programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE).]

Tribune. Un des principaux thèmes du débat public en cours sur la «programmation pluriannuelle de l’énergie» (PPE) est le choix d’évolution du mix électrique dans les quinze prochaines années.

Or, selon les documents qui encadrent le débat, celui-ci est enfermé dans un carcan normatif dont on ne semble pas devoir sortir en dépit du pragmatisme affiché, en décembre 2017, par le président de la République et son ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, lorsqu’ils ont reporté sine die l’échéance de l’objectif de 50 % de nucléaire dans la consommation française. Le débat sur la PPE est, en effet, posé de façon fermée avec cet objectif glissant, complété par celui de 40 % d’énergies renouvelables (ENR). Les participants au débat sont juste autorisés à proposer quelques nuances à deux des scénarios prospectifs que le gouvernement a demandés à RTE d’élaborer sur cette base.

La position du président serait de « descendre le plus vite possible vers 50 % de nucléaire, mais à condition de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre » (Le Monde du 13 décembre 2017). Mais pourquoi ce chiffre ? Certes, il est inscrit dans la loi de transition énergétique. Mais quelle en est la raison, si ce n’est un compromis politique bancal qui n’a plus de raison d’être depuis l’élection du nouveau président il y a un an ? Pourquoi serait-il préférable à 30 %, ou à 75 % comme actuellement ? Pourquoi devrait-il être atteint « le plus vite possible », alors que le nucléaire répond à l’impératif climatique ?

Il n’existe aucune étude technico-économique indiquant que ce chiffre est un optimum, tant pour le coût de l’électricité que pour la sécurité de l’approvisionnement, et encore moins pour le maintien des émissions de CO2 à 104 g/Wh, troisième niveau le plus bas des secteurs électriques européens.

Vouloir ramener la part du nucléaire de 75 % à 50 % ne relève en aucune façon de préoccupations environnementales objectives, ni d’une préoccupation de minimisation de la facture des consommateurs, et encore moins d’un souci de préservation de l’outil industriel français.

Pari de gribouille

La substitution programmée de capacités éoliennes ou photovoltaïques à une partie du nucléaire fait plutôt figure de pari de gribouille en termes d’émissions de CO2, puisque la production intermittente doit être adossée à d’importantes capacités de production à base d’énergie fossile. Pour justifier le « 50 % nucléaire », on nous dit aussi qu’il faut réduire la trop forte dépendance de la production électrique au nucléaire. Mais les risques technologiques (accidents, gestion des déchets, etc.) associés à une dépendance à 75 % ont-ils vraiment été évalués ? Qu’il faille réduire coûte que coûte la part du nucléaire sans se préoccuper du coût que cela représente signifierait-il que ces risques sont importants ? Mais alors, si c’est le cas, pourquoi réduire à seulement 50 % ?

Une telle orientation ne peut que nous obliger à dépenser beaucoup plus que si l’on n’arrêtait pas prématurément les réacteurs répondant aux conditions de sûreté de fonctionnement, car l’investissement massif en éolien et en photovoltaïque est incomparablement plus élevé que l’investissement dans le « grand carénage » (le prolongement de la durée de vie) des réacteurs
existants. Selon notre modèle de simulation économique, les dépenses supplémentaires annuelles, à consommation stable dans un scénario nucléaire à 50 %, seraient de 9,4 milliards d’euros, soit un surcoût moyen de 21 euros/MWh, à comparer au prix moyen actuel du marché (40 euros).

La raison de ce surcoût est simple : même avec des coûts bas du kilowattheure éolien ou photovoltaïque (64 à 68 euros/MWh), le nucléaire existant rénové pour vingt ans produit une électricité qui a une valeur économique très supérieure à celle des kilowattheures produits par les ENR, et ceci d’autant plus que l’on augmente la part de ces dernières dans le mix de production.*

POURQUOI L’OBJECTIF DE 50 % DEVRAIT-IL ÊTRE ATTEINT « LE PLUS VITE
POSSIBLE », ALORS QUE LE NUCLÉAIRE RÉPOND À L’IMPÉRATIF CLIMATIQUE ?

En effet, les prix horaires du marché électrique s’alignent sur le coût variable de la dernière centrale dont la production est achetée. Or, ces prix décroissent au fur et à mesure que des installations d’ENR subventionnées entrent sur le marché ; les revenus du producteur ENR ne peuvent dès lors plus recouvrir ses coûts d’investissement à partir d’un seuil précis, qui correspond à la part optimale des ENR dans le mix électrique. Si on continue à faire décroître la part du nucléaire pour amener les ENR à 80 % de part de la production électrique vers 2050 (dont 55 % d’ENR intermittente), le surcoût passe à 50 euros/MWh par rapport à un scénario de mix optimal.

Par ailleurs, une réduction du nucléaire à 50 % serait l’amorce d’une dynamique de pertes d’apprentissage technologique et industriel. C’est affaiblir un outil de production électrique qui fonctionne plutôt bien et dont la sûreté a été améliorée continûment au fur et à mesure des retours d’expérience et des révisions décennales des réacteurs. Avec l’objectif de réduction à 50 %, rien n’est dit sur la possibilité de construire de nouveaux réacteurs dans le futur, alors que ce serait indispensable pour garder les bénéfices de la coûteuse reconstruction de l’appareil industriel opérée autour des quatre premiers EPR. 

Une politique énergétique totalement déboussolée.

En fait, derrière cet objectif, on devine de façon sous-jacente une condamnation définitive de l’économie du nouveau nucléaire, ce qui est un autre pari de gribouille. En effet, il est clair qu’au niveau mondial, la transition bas carbone dans l’électricité ne pourra se fonder uniquement sur les ENR et qu’on devra recourir au nucléaire, comme les montrent les prospectives à 2050 de l’Agence
internationale de l’énergie.

Pourquoi la France, qui dispose d’un outil performant, ne participerait-elle pas à cet effort en continuant d’utiliser l’énergie nucléaire à haut niveau ? Notre politique énergétique est totalement déboussolée depuis qu’elle est formulée en termes d’objectifs de part de marché par technologie, sans lien avec des critères économiques qui les relieraient aux prix des énergies et du carbone.

Il faut revenir aux fondamentaux de la décision économique en retrouvant les repères qui guident les décisions d’investissement et d’exploitation et renoncer à des objectifs en quantité. Serait-il inconvenant de suggérer au chef de l’Etat, dès que la conjoncture politique le permettra, de dire plus clairement que l’objectif inscrit dans la loi de transition n’a plus lieu d’être ?

Henri Prévot est l’auteur de Moins de CO2 pour pas trop cher (L’Harmattan, 2013).

Lire aussi : Energie : « Au-delà de la situation conjoncturelle, l’industrie nucléaire française a des atouts indéniables » (/economie/article/2018/05/12/energie-au-dela-de-la-situationconjoncturelle-
l-industrie-nucleaire-francaise-a-des-atouts-indeniables_5297978_3234.html)

Lire aussi : Energie : « L’entêtement français sur la voie du nucléaire est une stratégie risquée » (/economie/article/2018/05/12/energie-l-entetement-francais-sur-la-voie-du-nucleaire-est-une-strategierisquee_
5297979_3234.html)

Lire aussi : Energie : « Il est aujourd’hui techniquement possible de stocker l’été la chaleur dans le sol pour la restituer l’hiver » (/economie/article/2018/05/12/energie-il-est-aujourd-huitechniquement-
possible-de-stocker-l-ete-la-chaleur-dans-le-sol-pour-la-restituer-l-hiver_5297977_3234.html)