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vendredi 17 mars 2017

« Les associations sont des acteurs du patrimoine à part entière»

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Publié le 13/03/2017 • Par Hélène Girard 



Sites et monuments fait partie des principales associations de sauvegarde du patrimoine. Elle est coauteur du livre blanc sur le patrimoine publié en novembre 2016. Alors que se met peu à peu en oeuvre la loi CAP du 7 juillet 2016, la Gazette a rencontré son président, Alexandre Gady, pour faire un tour d'horizon sur l'actualité du patrimoine.

Fondée en 1901, l’association nationale reconnue d’utilité publique Sites et monuments lutte pour la défense du patrimoine naturel et bâti. Sa notoriété s’est notamment construite sur les nombreux procès qu’elle n’hésite pas à engager contre l’Etat et les collectivités, quand elle estime le patrimoine en danger. Affiliée au « G8 », groupe d’associations de sauvegarde du patrimoine, elle a fait entendre sa voix lors du débat sur la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (loi « CAP ») du 7 juillet 2017. En novembre, Sites et monuments a cosigné, avec 9 autres associations et la Fondation du patrimoine un livre blanc, intitulé «Lettre ouverte aux Français et à leurs élus sur le patrimoine». Pour Alexandre Gady, président de Sites et monuments, même si la loi CAP apporte quelques avancées, la bataille pour le patrimoine continue.


La loi CAP reconnaît la participation citoyenne aux instances du patrimoine. Cela change-t-il vraiment les choses ? 

Les associations sont désormais présentes dans les compositions des trois échelons de commission sur le patrimoine, national, régional et local. Nos associations sont donc maintenant considérées comme des acteurs du patrimoine à part entière. Jusqu’à présent, l’Etat considérait que dans ses commissions, il y avait, à côté de l’administration et des élus, des personnalités qualifiées, et que cela suffisait bien. Nous avons fait valoir qu’une personne qualifiée est là pour son expertise, tandis qu’un élu d’association représente la vie démocratique, et des milliers d’adhérents. Ce n’est pas du tout la même chose. Pour nous, associations, cette reconnaissance était absolument indispensable.
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Comment expliquez-vous d’avoir dû autant batailler ?

Cette reconnaissance est loin d’être une simple question de sémantique. Elle est une rupture avec un vieux réflexe de l’Etat, qui considérait que la démocratie se manifeste seulement par le bulletin de vote. Maintenant, tout le monde dit que cette reconnaissance est une bonne chose. Mais certains pensent encore qu’il ne faudrait pas que les associations prennent trop de pouvoir, qu’elles ne se mêlent pas trop des dossiers relatifs au patrimoine, et que si elles pouvaient dire « oui » tout le temps, ce serait mieux ! Nous sommes là face à une question de culture politique qui vient de notre histoire.

Pour ce qui est d’associer le public aux décisions, tel que le prévoient la Convention d’Aarhus (1) et la Charte de l’environnement, qui a été inscrite dans notre Constitution, la France a encore des progrès à faire ! Elle y viendra un jour, comme toutes les démocraties avancées, mais elle a encore un vieux réflexe jacobin, qui consiste à imposer les décisions et à considérer que si les citoyens ne sont pas contents ils n’ont qu’à aller en justice. Cette évolution ne va pas se faire du jour au lendemain.

Les élus ne sont-ils pas tous prêts à entendre les associations du patrimoine ?

On peut imaginer que ce discours sur le rôle démocratique des citoyens est difficile à entendre pour ceux qui font tourner les rouages de l’Etat, et aussi pour les élus locaux. Il s’agit de deux conceptions fondamentales de la démocratie. Considérer que les associations sont réellement représentatives et qu’elles portent un message signifiant constituent une révolution pour les mentalités.

Changer la pratique démocratique peut faire peur à certains. Souvent des maires nous opposent l’argument de leur légitimité, qu’ils tiennent de leur élection par le peuple souverain. C’est, certes, un argument qui a sa force, mais aussi sa faiblesse : car nous associations, faisons aussi partie du peuple souverain. Et nous sommes aussi élus, certes sur des petites échelles et des petites structures. En outre, les associations, quand elles sont sérieuses, et composées de bons connaisseurs des dossiers, apportent une technicité au débat.

Cela s’est encore vérifié lors du débat parlementaire sur la loi CAP. Les associations du patrimoine ont été très performantes. C’est la raison pour laquelle sur bien des points techniques, les parlementaires de tous bords politiques nous ont fait confiance et nous ont suivis. Pour une association nationale reconnue d’utilité publique, il n’est pas question de se battre pour autre chose que pour le bien commun.


Comment appréciez-vous l’appellation « site patrimonial remarquable », qui figure désormais dans la loi CAP pour désigner le nouveau dispositif de protection du patrimoine ?

Nous étions très hostiles au nom de « cité historique » proposé initialement par le gouvernement. Cette appellation avait une connotation très urbaine, et constituait donc un recul par rapport à la loi de 1983 [loi de décentralisation du 7 janvier 1983, ndlr] (2) Nous avons combattu l’appellation « cité historique ». Le ministère de la Culture reconnaissait qu’elle était mauvaise, mais nous disait qu’il n’avait rien trouvé de mieux.

Finalement, le travail législatif a produit l’actuelle appellation de « site patrimonial remarquable », qui n’est pas formidablement belle. Mais, au moins, elle comprend le terme de « site », qui nous renvoie à la loi de 1930 [loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, ndlr] et à la notion « paysage » défendu non pas par le ministère de la Culture mais par le ministère de l’Ecologie. Et la notion de « site » inclut, l’urbain, le paysage, les jardins, l’en-dehors de la ville, donc c’est plus pertinent. Là encore, nous n’étions pas seulement sur un problème sémantique, mais sur quelque chose de signifiant.


La loi CAP n’impose finalement pas de contraintes aux constructeurs d’éoliennes. Continuerez-vous à batailler sur ce sujet ?

Nous continuerons d’engager des recours ici et là. Aujourd’hui, c’est la cathédrale de Chartes qui est concernée par la construction d’éoliennes. La question de l’éolien est devenue pour nous un enjeu national, qui est malheureusement traitée à l’échelle locale.

Nous avons face à nous un lobby industriel extraordinairement puissant, qui a des relais que nous n’avons pas et que nous ne pouvons pas avoir. Il s’agit d’une industrie lourde très polluante : pensez aux millions de m3 de béton coulés dans la terre pour construire le socle de ces machines. Sur ce sujet, il faudrait entendre des grandes voix, et regarder la question de très près, en considérant la politique énergétique de la France dans son ensemble, sans anathème, sans tabou, et sans idéologie préconçue. Ce qui n’est pas le cas actuellement.

Qu’attendez-vous du ministère de la Culture sur les éoliennes ?

Nous n’avons pas pu obtenir du ministère qu’il se batte sur ce sujet. C’est-à-dire qu’il tente quand même d’obtenir, non pas une interdiction, mais au moins un contrôle, pour ne pas perdre complètement le contrôle de l’éolien. Lors du débat sur la loi CAP, les dispositions introduites par les sénateurs ont été torpillées in extremis par un groupe de pression de 22 sénateurs. Le résultat est qu’aujourd’hui, ce qui est un problème majeur pour le patrimoine, aussi bien bâti que paysager, n’apparaît pas du tout, même sous une forme incidente, dans la loi sur le patrimoine. Il est vrai que, pour nous, c’est un échec.

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[...]

Comment analysez-vous les relations entre les associations du patrimoine et les pouvoirs publics ?

Les choses sont compliquées. Il y a d’abord le cas de figure de l’association reconnue d’utilité publique, avec une expertise et une certaine notoriété, et qui reçoit, souvent, une subvention, par exemple pour l’aider à publier sa revue, ou à qui on prête des locaux pour tenir son assemblée générale. Les élus attendent d’elle en retour une certaine bienveillance. Lorsqu’elle dit au maire qu’il fait une erreur, elle devient un élément perturbateur, et le maire, qui pense qu’elle ne connaît pas le dossier, l’accuse d’être un repère d’opposants politiques et il lui supprime ses aides.

Ce scénario montre la grande difficulté des associations françaises pour se positionner face aux élus, car elles n’ont pas la puissance des grandes associations nationales anglo-saxonnes, ni les bons relais médiatiques. Et, à partir du moment où elles reçoivent une subvention, elles ne sont plus complètement libres.


Elles peuvent alors servir d’alibi ?
C’est là une question très angoissante, que je ne peux pas m’empêcher de me poser. Nous sommes là face à un problème structurel : le manque de puissance des associations tient à la loi de 1901, qui prévoit que les membres des associations ne doivent pas être rémunérés. De ce fait, elles sont majoritairement peuplées de retraités, elles se développent peu, et restent donc peu représentatives numériquement. Les plus grandes ont 20 à 25 000 adhérents, ce qui est peu pour un pays de 65 millions d’habitants. Pour qu’une association se développe, il faudrait évidemment qu’elle puisse rémunérer certaines fonctions, comme la communication, les actions de lobbying etc. Ces difficultés structurelles à se développer débouchent sur un problème de crédibilité et de capacité d’action.

Quel est l’autre cas de figure ?

Celui de l’association qui va en justice. C’est le cas de Sites et monuments. De ce fait, on nous croit riches, ce qui n’est pas du tout le cas. Nous faisons appel aux dons pour engager les procédures. Ce qui marche bien. Car cela correspond à l’évolution de l’engagement des citoyens, qui ne veulent plus s’impliquer sur le long terme. Plutôt que d’adhérer pour une année, ils préfèrent s’engager sur un dossier précis.

Récemment, l’affaire de Roland Garros [Extension du stade de Roland Garros qui empiète sur le domaine des Serres d’Auteuil, ndlr], nous a encore permis de vérifier que les dons affectés à une cause spécifique fonctionnent bien. A partir du moment où une association n’hésite pas à aller en justice, elle devient, aux yeux des pouvoirs publics, un partenaire crédible qu’ils regardent d’un autre oeil.

Que l’association est 15, 20 ou 25000 adhérents, peu importe, car pour l’Etat ou les collectivités, elle a des arguments et des avocats. Et pourtant, nous préférons de très loin le dialogue. Mais, force est de reconnaître, que le dialogue est fluidifié, quand nos interlocuteurs savent que, si nécessaire, nous n’hésiterons pas à engager un recours. Disons que c’est une incitation à rester dans la logique du dialogue.

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Notes
Note 01 Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée le 25 juin 1998 par trente-neuf Etats dont la France, qui l’a intégrée dans son corpus juridique via la loi n° 2002-285 du 28 février 2002 et le décret n° 2002-1187 du 12 septembre 2002
Note 02 Les articles 70 et 71 de la loi du 7 janvier 1983 portant répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat instituaient les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), qui sont aujourd’hui remplacées par les sites patrimoniaux remarquables instaurés par la loi CAP du 7 juillet 2016.
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