Revue de presse et autres infos

lundi 6 février 2017

Eoliennes: nouveau souffle ou vent de folie ?

Document de 2008 

↦ http://www.institutmontaigne.org/fr/publications/eoliennes-nouveau-souffle-ou-vent-de-folie
↦ http://www.institutmontaigne.org/res/files/publications/amicus_eolien-bd.pdf

Auteur Vincent Le Biez, juillet 2008

Cette étude montre que le développement massif de l’éolien tel qu’il a été initié par la France ne répond à aucun besoin et induirait des surcoûts de plus de 2,5 milliards d’euros par an.

Après un démarrage tardif par rapport à ses voisins européens, la France s’est lancée dans un développement massif de l’éolien dans le but d’atteindre près de 10 % de sa consommation nationale d’électricité à l’horizon 2020. Pour cela, la puissance publique a multiplié les aides et les garanties à destination de ce secteur. Cette étude montre qu’un développement de l’éolien de cette ampleur ne répond pas à un besoin en France et qu’il induirait des surcoûts pour la collectivité pouvant dépasser 2,5 milliards d’euros par an à horizon 2020. En revanche, un développement modéré de cette source d’énergie qui s’appuierait sur des appels d’offres plutôt que sur un tarif d’achat garanti, peut permettre d’accompagner dans une certaine mesure l’augmentation de la demande d’électricité tout en diminuant les émissions de CO2 et en mettant fin aux profits particulièrement élevés qu’on observe aujourd’hui sans justification dans la filière éolienne.

Dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique, les pays de l’Union européenne ont décidé de développer massivement les énergies renouvelables (EnR) afin qu’elles atteignent 20 % de la consommation finale d’énergie à l’horizon 2020. La déclinaison de cet objectif pour la production d’électricité place l’éolien dans une position incontournable puisque les autres sources renouvelables sont soit près d’être saturées, comme l’hydraulique, soit moins compétitives – même à moyen terme – comme le solaire photovoltaïque. C’est la raison pour laquelle le Grenelle de l’Environnement a opté pour un développement massif de cette filière dans les années à venir : il s’agit de parvenir à 25 000 MW de puissance installée en 2020, ce qui représenterait environ 10 % de la consommation française d’électricité. 

Atteindre cet objectif, qui implique des investissements colossaux, nécessite des mécanismes de subvention publique. Il convient donc d’en examiner la pertinence dans un contexte français où la production d’électricité émet déjà très peu de CO2 en raison de la forte part qu’y occupent le nucléaire et l’hydraulique.

1. L’éolien dans le contexte électrique français et européen 

Les éoliennes, ou aérogénérateurs, transforment l’énergie mécanique du vent en énergie électrique. Leur production est soumise aux aléas météorologiques, elle est donc intermittente. Quand il n’y a pas assez de vent (moins de 3 m/s), l’éolienne ne fournit pas d’électricité, quand il y en a trop (plus de 25 m/s), elle se met en rideau pour éviter d’être endommagée. Une autre caractéristique essentielle de ce type d’énergie est qu’elle est fatale : elle vient avec le vent et ce sont les autres sources de production d’électricité qui doivent constamment s’adapter pour maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande. Enfin, une éolienne n’émet presque pas de CO2 sur sa durée de vie (1) et son coût marginal peut être considéré comme nul. Pour bien saisir les enjeux du débat sur l’énergie éolienne, il faut comprendre le contexte électrique dans lequel cette source d’énergie s’insère. En particulier, quatre éléments méritent d’être soulignés. 

• Le marché de l’électricité doit aujourd’hui être appréhendé à l’échelle européenne, en particulier au niveau de la « plaque » France-Benelux-Allemagne. Grâce aux interconnexions, même si elles demeurent limitées, les électrons ne connaissent pas de frontière et il n’est plus possible aujourd’hui de raisonner en termes de production ou de consommation franco-française. 

• Malgré les efforts de maîtrise de la demande énergétique globale, le marché de l’électricité est, lui, en croissance, de l’ordre de 1 à 2 % par an. L’augmentation du prix du pétrole entraînera probablement une substitution accrue de l’électricité à des matières fossiles (voiture électrique, chauffage électrique, pompes à chaleur…), ce qui nourrira l’augmentation de la demande dans les années à venir, notamment lors des pointes. En conséquence, l’Europe devra se doter de nouveaux moyens de production d’électricité. Le gestionnaire du réseau (RTE) estime à 10,5 GW la puissance supplémentaire nécessaire à l’horizon 2020 pour la France (2)

• Pour assurer à tout instant l’équilibre entre l’offre et la demande, le réseau doit disposer de réserves de production rapidement mobilisables. Il peut s’agir de barrages hydrauliques (utilisés principalement en hiver), de groupes au charbon ou au gaz qui ne tournent pas à leur puissance maximale, ou de turbines à combustion qui peuvent être lancées en très peu de temps. Ces réserves sont pour la plupart émettrices de CO2, et leur dimensionnement dépend des fluctuations et surtout de la prévisibilité de l’offre et de la demande d’électricité. 

• Le développement de nouveaux moyens de production est intimement lié au renforcement du réseau de transport de l’électricité. Ce réseau permet bien entendu d’acheminer l’électricité des lieux de production vers les lieux de consommation, mais il est aussi un moyen de mutualiser les aléas et de gérer au mieux l’équilibre entre l’offre et la demande. Cette considération est particulièrement importante dans le cas d’une production intermittente comme les éoliennes si l’on veut profiter au maximum de l’effet de foisonnement (3) , c’est-à-dire de l’équilibre entre les différents régimes de vent du territoire. 

Il faut également prendre en compte les particularités du mix électrique français. Avec près de 77 % de nucléaire et 12 % d’hydraulique (4) , la France est le pays d’Europe qui a la production électrique la plus sobre en termes d’émissions de gaz à effet de serre. À titre de comparaison, la France est responsable de 4,6 % des émissions de CO2 dues à la production électrique en Europe, soit moins en valeur absolue que les Pays-Bas ou la Grèce, et surtout sept fois moins que l’Allemagne (5) . Ainsi, en France, le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’électricité est particulièrement limité. 

Ces éléments de contexte en tête, il s’agit maintenant d’étudier l’impact économique du développement des éoliennes en France, en s’intéressant tout d’abord au coût global pour la société puis aux mécanismes publics retenus pour attirer les investisseurs sur ce secteur. 

2. Une énergie plus chère qu’il y paraît 

Le coût complet de l’éolien est composé du coût initial d’investissement (achat de l’éolienne, génie civil, raccordement au réseau de distribution) et du coût de maintenance auxquels il faut ajouter les externalités générées par l’intermittence de ce mode de production

L’investissement initial explique la majeure partie du coût de l’éolien. Après avoir connu une baisse continue grâce à l’augmentation de la puissance unitaire des aérogénérateurs, ce coût est aujourd’hui à la hausse, d’une part en raison de l’augmentation du prix des matériaux de construction (acier, ciment…) et d’autre part en raison de la forte demande d’éoliennes à travers l’Europe. On retient couramment la valeur de 1 300 €/kW (6) installé, avec un taux d’actualisation de 8 % (7) et une durée de vie de 20 ans. On arrive donc à une charge annuelle de capital de 120 €/kW. Pour calculer les charges fixes annuelles, il faut ajouter le coût de l’entretien, du gardiennage et de l’assurance, qui varient entre 2 et 3 % de l’investissement initial soit environ 30 €/kW. Le coût complet hors externalités de l’éolien est donc de 150 €/kW/an. 

Mais, en raison de son intermittence et de son degré d’imprévisibilité (8) , l’énergie éolienne devrait par ailleurs conduire à une augmentation du dimensionnement des réserves « d’équilibrage », qui pourvoient aux aléas de l’ajustement quotidien entre l’offre et la demande. Il faut rapprocher l’aléa éolien des autres aléas qui déterminent traditionnellement les réserves d’équilibrage du système électrique : variations de température (en hiver) et risque de perdre subitement les deux plus grands groupes de production du parc français. Tel qu’il est aujourd’hui dimensionné, le parc électrique français est capable d’accueillir une part raisonnable d’éolien sans qu’il soit vraiment besoin d’augmenter la taille des réserves d’ajustement. On estime que, jusqu’à 5 GW de puissance installée d’éoliennes en France, le surcoût occasionné est quasiment nul et que, pour 10 GW, il faudrait envisager quelques centaines de MW de réserves supplémentaires, ce qui peut être considéré comme raisonnable. Mais, au-delà, l’aléa éolien deviendrait « dimensionnant » pour les réserves d’équilibrage, cela induisant des surcoûts substantiels. 

Enfin, le développement de l’éolien nécessite une évolution et un renforcement du réseau de transport d’électricité permettant de transporter l’électricité produite vers le réseau, puis vers l’utilisateur. L’installation de ces nouveaux équipements est beaucoup plus lente, en moyenne, que la construction des aérogénérateurs eux-mêmes : 7 ans, contre 2 ans pour installer une ferme d’éoliennes. En raison de ce décalage, si les investissements nécessaires ne sont pas consentis et si les délais administratifs ne sont pas raccourcis, le risque d’affaiblissement du réseau deviendrait important dans le cas d’un développement significatif de l’éolien. En effet, les aérogénérateurs sont souvent installés dans les plaines où le réseau n’est pas très dense. On estime là encore à 5 GW la puissance installée qui pourrait être accueillie sans surcoût notable (9) . Mais, dans la réalité, l’éolien se développe évidemment là où il y a du vent et, surtout, là où il est accepté par les riverains – ce qui ne correspond pas nécessairement aux zones disposant d’un bon réseau. En conséquence, il faut compter avec 3 milliards d’euros d’investissements supplémentaires pour l’adaptation du réseau à un parc éolien terrestre d’environ 20 GW d’ici à 2020 (10), ce qui représente un coût souvent négligé de 13 €/kW d’éolien installé

Au total, ces éléments montrent qu’il est raisonnable d’estimer le coût annuel complet de l’éolien terrestre à environ 163 €/kW, si la puissance installée reste inférieure à 10 GW. Au-delà, les externalités négatives dues à l’intermittence de l’énergie éolienne deviendraient plus significatives ce qui renchérirait encore plus ce moyen de production du point de vue de la collectivité. Ce coût ne doit évidemment pas être comparé au tarif d’achat garanti de l’éolien puisqu’il ne prend pas en compte les marges des industriels du secteur mais que, en revanche, il comptabilise les externalités générées par l’éolien. À noter enfin que, en ce qui concerne l’éolien offshore, les coûts sont sensiblement supérieurs, en particulier pour ce qui concerne le raccordement au réseau. On peut retenir un coût de 275 €/kW (11) en comparant les tarifs d’achat entre l’éolien terrestre et le offshore. 

Côté « recettes », il faut estimer ce que l’installation d’un kW éolien sur le réseau permet d’économiser : 
– d’une part en puissance installée de turbine à gaz pour le passage des pointes extrêmes de consommation, ces pointes susceptibles d’intervenir dans les périodes exceptionnelles – une année sur dix ou sur vingt – où le cumul des aléas menace l’équilibre de l’offre et de la demande ; 
– d’autre part en énergie, lorsque l’énergie produite par les éoliennes, quand elles tournent, permet de réduire la production de centrales nucléaires ou thermiques. 

• Pour ce qui est de la puissance que 1 kW d’éolien peut garantir statistiquement, en période de pointe extrême où toutes les puissances installées disponibles doivent être mobilisées : une seule éolienne isolée ne peut rien garantir ; un parc infini, fonctionnant en moyenne 25 % du temps de façon totalement aléatoire, garantirait 25 % de sa puissance, soit 0,25 kW. Selon Météo France, le parc réel, avec des régimes de vent complémentaires, garantirait 0,20 kW. Soit une économie de substitution de 7 € (12) par kW. 

• Quant aux économies d’énergie, on peut admettre qu’aujourd’hui 1 kWh éolien se substitue à 75 % à du thermique à flamme (charbon, gaz) et à 25 % à du nucléaire (13), mais cet écart se réduit à mesure que la part de l’éolien progresse. Des simulations, basées sur un développement de l’éolien de l’ordre de 17 GW de puissance installée en 2015, montrent que le kWh éolien se substituerait environ pour un tiers au nucléaire, un tiers à du thermique à flamme « étranger » (c’est-à-dire évitant la combustion de pétrole, gaz ou charbon dans les pays où la France exporte de l’électricité) et un tiers à du thermique à flamme français (14). Ces proportions dépendent toutefois fortement de l’évolution de la demande intérieure d’électricité sur cette période et doivent donc être prises avec précaution. Comme une éolienne tourne à pleine puissance un quart du temps en moyenne, c’est-à-dire qu’1 kW installé fournit environ 2 100 kWh dans l’année, l’économie réalisée est égale à 80 €/kW d’éolien installé (15)

Au total, face à un coût annuel du kW éolien de 163 € (275 € pour l’offshore (16)), les économies réalisées chaque année sont donc de 87 €/kW d’éolien. 
Dès lors, si les objectifs du Grenelle sont atteints, c’est-à-dire si 25 GW d’éolien sont installés d’ici à 2020, avec une hypothèse de 17 GW de terrestre et 8 GW d’offshore, le surcoût annuel serait égal en moyenne à 1 milliard d’euros sur la période 2008-2020 et dépasserait les 2,5 milliards au-delà de 2020 – auxquels il faudrait ajouter les surcoûts correspondant à un redimensionnement des réserves d’ajustement, puisque la limite des 10 GW d’éolien serait largement dépassée. Avec 25 GW installés, les émissions de CO2 seraient ainsi limitées, d’après les calculs réalisés par l’ADEME, de 16 millions de tonnes par an, soit environ 150 € par tCO2 évitée. Aujourd’hui, le prix de la tonne de CO2 est estimé à 20 € et des études prospectives de la puissance publique se basent sur des fourchettes allant jusqu’à 100 € (18). Le développement de l’éolien n’est donc pas la solution économique la plus appropriée pour limiter les émissions de gaz à effet de serre en France : d’autres solutions comme le développement de la biomasse, l’installation de pompes à chaleur ou l’isolation de bâtiments anciens, permettent des diminutions d’émissions de CO2 équivalentes à un coût moindre pour la collectivité (19)

Cela étant, combien peut-on construire d’éoliennes sans trop affecter le réseau ? Le bilan prévisionnel de RTE montre qu’un développement modéré de l’éolien à hauteur de 7 GW d’ici 2015 (contre 2,4 installé début 2008) permettrait d’accompagner la hausse de la demande sans trop se substituer au nucléaire et sans que l’intermittence n’induise de surcoûts vraiment importants. De plus, les données utilisées dans les calculs précédents peuvent subir des variations fortes et imprévisibles (prix des matières premières par exemple), il est donc concevable d’essayer de diversifier le parc de production électrique pour se prémunir en partie contre les risques. Enfin, l’énergie éolienne contribue, à sa mesure, à l’indépendance énergétique de l’Europe. C’est là un des objectifs prioritaires des pays de l’Union, objectif qu’il est délicat de valoriser en termes financiers. 

Un scénario raisonnable serait donc de développer à moyen terme l’éolien et le gaz de manière à compenser la hausse de la demande et à remplacer les groupes au charbon les plus polluants en attendant que la relance du nucléaire permette de mettre en service dès que possible de nouveaux EPR (au-delà de Flamanville 3), au plus tard en 2020. Il faut toutefois noter que, si l’on tient compte des permis de construire accordés, la puissance acquise en éolien est déjà légèrement supérieure à 7 GW. Dès lors, il serait avisé de ne maintenir les subventions publiques qu’au bénéfice des projets en cours, et de laisser ensuite le marché décider si l’installation d’éoliennes supplémentaires est économiquement rationnelle. 

3. Des mécanismes d’incitation publique inutilement généreux 

Même si l’envolée du prix du pétrole rapproche l’énergie éolienne de la rentabilité, du moins si on la compare au gaz ou au charbon, on ne peut échapper, à court terme, à la nécessité de subventionner ce type d’investissement. Trois possibilités s’offrent à la puissance publique : 

• Tout d’abord, l’État peut instaurer un système de certificats verts : il demande à chaque énergéticien de produire une partie de son électricité à partir d’énergies renouvelables (EnR), à défaut de quoi le producteur d’électricité doit acheter un certificat vert sur le marché. Ce mécanisme présente l’avantage de permettre un pilotage précis de la part d’EnR et d’inciter les acteurs du marché à installer les éoliennes là où il y a le plus de vent. Pour qu’il soit efficace, ce mécanisme devrait toutefois être établi à l’échelle de l’Europe – encore que certains pays (Scandinavie, Belgique) l’utilisent déjà. 

• L’État peut aussi avoir recours à des appels d’offres permettant de faire jouer la concurrence et d’utiliser au mieux l’argent public. Cette manière de procéder ne convenait sans doute pas à une industrie naissante, mais on peut estimer que les acteurs de l’éolien ont aujourd’hui atteint un niveau de maturité suffisant. Il est vrai, cependant, que des appels d’offres ralentissent les procédures et rendent plus aléatoire, sur le sol national, l’acceptation locale des champs d’éoliennes. Le temps est révolu où l’État pouvait décider de l’implantation de moyens de production sans consulter les populations locales. Dans le cas de l’offshore, en revanche, l’appel d’offres ne pose pas ce problème car l’État est propriétaire des mers. 

• C’est la troisième possibilité qui a été retenue en France, comme d’ailleurs dans de nombreux autres pays européens, celle de l’obligation d’achat. Celle-ci a été fixée par un décret de 2006 à 82 €/MWh pendant 15 ans. Ce mécanisme a l’avantage de donner de la visibilité aux acteurs du marché, mais pose le difficile problème de la fixation du niveau de ce tarif d’achat garanti. En effet, si un prix trop bas ne permet pas d’attirer les investisseurs, un prix trop haut génère des rentes indues au détriment de l’intérêt général. 

Les autorités publiques sont ainsi amenées à estimer la rentabilité des projets éoliens en fixant un objectif de taux de rendement interne (TRI) sur projet (20), 8 % en l’occurrence. C’est en ce sens qu’un décret est paru en 2006 pour fixer les nouveaux tarifs d’achat. La Commission de régulation de l’énergie a émis un avis (consultatif) négatif sur ce décret, en se basant, elle, sur un calcul du TRI limité aux seuls fonds propres. En effet, avec une obligation d’achat garanti sur 15 ans qui rend pérennes les revenus, il est très facile de solliciter des banques pour soutenir des projets éoliens et de profiter ainsi d’un fort effet de levier accroissant le TRI : en moyenne, un projet éolien est aujourd’hui financé à 80 % par de la dette (21) ! De plus, d’autres mécanismes d’incitation fiscale, comme la possibilité d’amortir exceptionnellement les éoliennes sur 12 mois (22) pour payer moins d’impôt sur les sociétés, font du TRI sur fonds propres le seul indicateur pertinent. Or, selon la CRE, ce taux de rendement serait en moyenne de 22 %, et pourrait monter jusqu’à 40 % pour des sites très ventés (23), à comparer avec un niveau cible de 13,5 % largement susceptible d’attirer les investisseurs. 

L’actuel tarif d’achat garanti représente donc un soutien disproportionné à la filière éolienne, entrant en contradiction avec l’article 36 de la loi POPE (Programme orientation politique énergétique) qui dispose : « Le niveau de cette prime ne peut conduire à ce que la rémunération des capitaux immobilisés dans les installations bénéficiant de ces conditions d’achat excède une rémunération normale des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités et de la garantie dont bénéficient ces installations d’écouler l’intégralité de leur production à un tarif déterminé. »

On ne se préoccupe d’ailleurs pas assez de l’identité du payeur final du dispositif. Le tarif d’achat est supposé être financé par la CSPE (24), qui figure sur toutes les factures d’électricité des consommateurs. Avec la montée du prix de marché de l’électricité, cette CSPE a été mécaniquement réduite, puisqu’elle est calculée en faisant la différence du tarif d’achat avec le prix de marché. C’est donc EDF qui supporte le coût réel de l’obligation d’achat puisqu’il est obligé d’acheter de l’électricité (non garantie) à plus de 82 € le MWh alors que, en moyenne sur l’année, son coût de production marginal (pour du kWh garanti) est de l’ordre de 40 €. Tant que l’éolien est peu développé, ce surcoût est faible et donc aisément supportable par l’opérateur historique. Cependant, nul doute qu’in fine, il se retrouvera sur la facture d’électricité des consommateurs. Si l’éolien se développe selon les objectifs du Grenelle, le surcoût par foyer pourrait atteindre 100 €/an, la CSPE ne représentant alors qu’une petite part de ce total.

4. Propositions 

Il paraît clair que le dispositif actuel est excessivement incitatif, coûteux et susceptible de devenir inutilement très coûteux. Nous en proposons donc une inflexion à partir des six propositions suivantes. 

Proposition 1 - Établir un chiffrage officiel du véritable coût de l’éolien 
Les données officielles sur le coût du développement de l’éolien en France font cruellement défaut. Dans un souci de transparence, il serait utile que soit publiée une évaluation officielle des objectifs fixés par le Grenelle de l’Environnement en matière d’éolien. Les seules données dont on dispose aujourd’hui sont les montant annuels de la CSPE, dont on a vu qu’elles n’étaient absolument pas un indicateur pertinent pour juger du surcoût global de l’éolien pour la société. 

Proposition 2 - Mettre fin au tarif d’achat garanti et procéder exclusivement par appels d’offres. 
L’industrie éolienne est aujourd’hui parvenue à une maturité suffisante pour que le soutien public à cette filière passe par des appels d’offres.
Cette procédure permet à la collectivité de payer le juste prix, de retenir les sites les mieux ventés et d’éviter un développement anarchique des éoliennes sur le territoire. Elle est aujourd’hui facilitée par la mise en place des ZDE (25). Le plus important, c’est de ne pas combiner les différents mécanismes d’incitation, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui pour les éoliennes offshore où les tarifs d’obligation d’achat faussent les réponses des appels d’offres en fixant un prix plancher. Mais ce recours aux appels d’offres ne doit constituer qu’une première étape : au-delà d’une certaine puissance installée (typiquement entre 7 et 10 GW), la hausse du prix du pétrole aidant, l’éolien devrait pouvoir se passer de toute subvention publique, son développement étant alors soumis à sa seule rentabilité intrinsèque. 

Proposition 3 - Planifier le renforcement du réseau parallèlement au développement de la filière éolienne 
Les objectifs ambitieux de développement de l’éolien impliquent que le réseau soit étendu et renforcé. Cela passe en particulier par une accélération des procédures administratives nécessaires pour l’installation de nouvelles lignes afin d’éviter des délais trop importants. Si ces précautions ne sont pas prises, le risque de défaillance du réseau électrique deviendra très important. On pourrait même arriver à la situation absurde où des éoliennes seraient construites sans pouvoir être raccordées, obligeant l’État à indemniser des promoteurs sans bénéficier d’électricité supplémentaire. Il faut également permettre au gestionnaire du réseau d’envoyer à distance aux éoliennes des ordres de déconnexion, comme c’est déjà le cas en Espagne, pour éviter qu’une surproduction imprévue n’en vienne à déclencher les lignes électriques et à mettre le réseau en péril. 

Proposition 4 - Équilibrer les implantations d’éoliennes entre les différents régimes de vent 
Pour bénéficier au maximum de l’effet de foisonnement et donc mieux gérer le caractère intermittent de l’énergie éolienne, il faut que la puissance installée dans chaque régime de vent soit du même ordre. Ce n’est pas ce qu’on observe aujourd’hui, puisque beaucoup d’éoliennes sont installées, et encore plus sont en projet, en zone continentale (Champagne, Picardie, Lorraine…) et peu dans la zone méditerranéenne. Cette disparité géographique entraîne une plus forte variabilité de l’électricité produite par le parc éolien français et surtout une puissance potentielle en hiver moindre, car le vent souffle plus en hiver sur le pourtour méditerranéen. Le risque de défaillance lors d’événements anticycloniques froids s’en trouve accru. 

Proposition 5 - Établir un bilan prévisionnel de l’équilibre offre/demande d’électricité et développer les interconnexions au niveau européen 
L’ouverture du marché européen et le développement des interconnexions entre les pays poussent à établir ce type de bilan au niveau européen. Le développement de l’éolien accentue ce besoin afin de gérer au mieux les problèmes d’intermittence et de pouvoir dimensionner les réserves au plus juste. Le moment approche où il faudra aller plus loin en créant un centre européen de coordination de l’électricité chargé d’harmoniser les règles de fonctionnement des échanges transfrontaliers et de préserver la sécurité de fonctionnement du système électrique européen (26). Par ailleurs, une amélioration des modalités d’accès et une certaine augmentation des interconnexions électriques entre la France et ses voisins, même si cela est de plus en plus difficile à faire accepter aux populations locales, permettrait d’exporter plus de nucléaire en base et donc d’éviter que l’éolien ne s’y substitue trop, en particulier durant la nuit. Il s’agit sans doute là d’une piste intéressante pour limiter le surcoût de l’éolien pour la collectivité. 

Proposition 6 - Parler d’énergie non-carbonée en plus d’énergie renouvelable 
L’Union européenne dans son paquet « Énergie-Climat » et la France dans sa loi POPE fixent des objectifs de 21 % d’électricité d’origine renouvelable. Cet objectif de moyen n’est pas directement lié à celui de diminuer de 20 % ses émissions de GES. Il serait opportun de fixer un objectif d’énergie non-carbonée (qu’on pourrait fixer à 50 %) à côté de l’objectif d’énergie renouvelable pour tous les pays de l’Union européenne. Une autre solution consiste à laisser chaque État libre de choisir les moyens de limiter ses émissions de CO2, qu’il décide d’investir dans les énergies renouvelables, dans le nucléaire, dans la séquestration du carbone pour les centrales à charbon ou dans les trois à la fois. Le recours massif à l’éolien est peut-être une solution pertinente pour l’Allemagne qui possède de nombreux groupes au charbon et qui refuse le nucléaire, il l’est nettement moins pour la France. 

5. Conclusion 

Le développement de l’éolien en France ne répond pas à un besoin, étant donné la sobriété du parc de production électrique français en terme de CO2. Selon les calculs auxquels nous avons procédé plus haut, l’objectif de 25 000 MW affiché lors du Grenelle de l’Environnement se traduirait, s’il était atteint, par un surcoût annuel moyen de 1 milliard d’euros d’ici à 2020 et de 2,5 milliards au-delà, soit environ 100 € supplémentaire par foyer et par an. 
Par ailleurs, les taux de rentabilité sur fonds propres observés chez les promoteurs éoliens sont incontestablement disproportionnés par rapport au bénéfice qu’en tire la collectivité et se traduisent par des rentes de situations indues. 
Enfin, même si là n’est pas l’objet de cette étude, on rappellera pour mémoire que les éoliennes s’accompagnent de nuisances sonores et, surtout, esthétiques (voir encadré) sérieuses. 

Toutefois, dans un contexte de hausse de la demande d’électricité et de fermeture programmée de certains groupes à charbon polluants, un développement modéré de l’éolien en France, de l’ordre de 7 à 10 GW à moyen terme, permettrait de diversifier le mix électrique français tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en participant à la sécurité énergétique de notre pays. Sous une telle hypothèse, dont la réalisation est déjà pratiquement engagée, les externalités dues au renforcement du réseau ou au redimensionnement des réserves restent contenues. 

Au-delà de ce seuil, un arrêt des mécanismes de subvention publique s’impose, les acteurs du marché de l’électricité décidant s’il convient ou non de poursuivre le développement de l’énergie éolienne. Enfin, il faut avoir conscience que le véritable enjeu pour limiter les émissions de gaz à effet de serre issues de la production d’électricité en France n’est pas à trouver du côté des éoliennes ou de l’offre en général, qui est déjà très sobre en C02. C’est du côté de la demande que nous pouvons faire des progrès et apporter notre contribution à l’objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous pourrions en effet aisément favoriser le lissage de la courbe de charge européenne, puisque, à elle seule, la France consomme la moitié de l’électricité produite en pointe en Europe – ce qui accroît la probabilité que soient mobilisées des centrales à charbon ou à hydrocarbure. 

La mise en œuvre de politiques de maîtrise de la demande d’électricité devrait donc être la priorité absolue du décideur public français en matière de développement durable. 

Vincent Le Biez, Ingénieur-élève au Corps des Mines.

1 Source : Université de Louvain qui a réalisé une analyse cycle de vie (ACV) de l’éolien et qui estime des émissions de 0,008 tCO2/MWh contre 0,05 tCO2/MWh pour le nucléaire, 0,1 tCO2/MWh pour le solaire photovoltaïque, 0,4 tCO2/MWh pour le gaz et 1 tCO2/MWh pour le charbon. 
2 Données : Bilan prévisionnel de RTE de 2007 (1 GW = 1 000 MW = 1 000 000 kW). 
3 Le foisonnement éolien est la loi statistique qui fait que, à tout instant, la probabilité de voir toutes les éoliennes simultanément en panne de vent est plus faible que celle qui pèse sur chacune d’elles prises séparément. 
4 Données DGEMP, valeurs pour l’année 2007. 
5 Données calculées pour l’Europe des 15, source Union européenne.
6 Hypothèse haute prise par la Commission de régulation de l’énergie dans son avis du 27 juillet 2006 sur le tarif d’achat garanti de l’éolien. Aujourd’hui, le Syndicat des énergies renouvelables parle même de 1 600 €/kW installé, ce qui renchérit l’éolien de 20 €/kW installé par rapport au calcul proposé. 
7 Pour les investissements privés, le taux d’actualisation usuellement retenu est de 8 %. Pour les investissements publics, on retient un taux d’actualisation de 4 % en se fiant au rapport du Commissariat au Plan de 2005 intitulé « Révision du taux d’actualisation des investissements publics », coordonné par Daniel Lebègue. 
8 Rappelons au passage que ce qui compte pour les réserves d’équilibrage, ce n’est pas tant les variations de production d’une éolienne prise individuellement mais le degré d’imprévisibilité du parc éolien dans son ensemble. 
9 Calcul réalisé par RTE en 2003, à l’époque on estimait entre 6 et 7 GW la puissance directement raccordable au réseau. Depuis, plus de 2 GW ont été installés. 
10 En tenant compte du renforcement du réseau de transport et de distribution. Estimation faite par André Merlin, ancien président de RTE, en 2002. 
11 Pour obtenir ce coût, on prend celui de l’éolien terrestre calculé précédemment et on le multiplie par le rapport des prix d’achat garanti de l’éolien offshore et de l’éolien terrestre.
12 En considérant que les moyens de pointe sont des turbines à combustion, dont la durée de vie est estimée à 25 ans et dont le coût d’installation est de 280 €/kW selon la DGEMP (coûts de référence de la production d’électricité) soit une charge annuelle de 23 €/kW avec un taux d’actualisation de 8 %, à laquelle on ajoute 12 € de charge fixe annuelle. On aboutit donc à un coût évité de 7 € par kW d’éolien. 
13 Source : ADEME « Le contenu en CO2 du kWh électrique », octobre 2007. C’est principalement en pleine nuit que la production nucléaire est marginale. 
14 Source : Bilan prévisionnel 2007 de RTE, comparaison entre les tableaux des pages 63 et 67. 
15 L’économie correspond à un coût évité du kWh nucléaire de 11 €/MWh et à un coût évité du thermique à flamme de 50 €/MWh (données CRE, réévaluées pour tenir compte de la montée du prix du gaz). Le coût évité moyen est donc de 37 €/MWh. 
16 Voir note 11. 
17 Source : Global Wind Energy Council dans son rapport 2006.
18 La DGEMP évalue la tonne de CO2 entre 20 et 100 €. 
19 Source : rapport de la commission Énergie du Centre d’analyse stratégique « Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050 », présidée par Jean Syrota.
20 Taux de rendement interne, taux qui annule la valeur actualisée nette (VAN). 
21 Source : Commission de régulation de l’énergie dans son avis du 27 juillet 2006 sur le tarif d’achat garanti de l’éolien. 
22 Article 39AB du Code général des impôts. 
23 Avis de la Commission de régulation de l’énergie du 27 juillet 2006. 
24 Charge de service public de l’électricité, qui comprend, en plus du soutien aux énergies renouvelables, la péréquation tarifaire pour les zones non connectées au réseau comme les DOM-TOM et le financement des tarifs sociaux
25 ZDE : Zones de développement de l’éolien, définies par le préfet sur proposition des maires, au sein desquelles s’applique le tarif d’achat garanti. 
26 Proposition issue du rapport du Centre d’analyse stratégique « Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050 », paru en octobre 2007.
27 (dans l'encadré) Une proposition de loi du sénateur Philippe Marini a été déposée en ce sens.