Mon nom est Jean-Paul Prat. Si vous me demandez depuis quand notre famille est installée à La Fageole en tant qu’agriculteurs, je vous répondrai qu’en dressant notre arbre généalogique nous sommes remontés à 1600…
Nous sommes donc ici depuis toujours. Sur notre terre, comme mes parents, j’ai élevé des vaches. Je possédais un petit troupeau de 35 bêtes, on est donc bien loin des fermes industrielles.
La vie était tranquille jusqu’en 2006. Les éoliennes sont arrivées : la première a été installée à 600 mètres de notre maison. Dès qu’elles ont commencé à tourner, j’ai pu observer un curieux phénomène sur mon troupeau, dans un pâturage situé à 200 mètres des machines : mes bêtes refusaient de se diriger vers les hautes herbes à brouter, elles préféraient se placer là où il n’y avait rien à manger, plutôt que de se rapprocher des aérogénérateurs. J’ai dû tenter de les forcer en plaçant un fil barbelé pour les contraindre à aller se nourrir. Mais j’y ai bien vite renoncé parce mes vaches se portaient de plus en plus mal, et la qualité du lait baissait, des cellules dans le lait ont commencé à apparaître. En plein été, et en pleine chaleur, elles préféraient rester en bas du pré, là où il n’y a pas d’air, plutôt que d’aller se rafraichir au sommet, vers les machines, comme elles l’avaient toujours fait. Heureusement, j’avais la chance d’avoir un pâturage suffisant pour pouvoir déplacer mes bêtes et leur permettre de se revigorer. Je plains les agriculteurs qui sont cernés par les aérogénérateurs.
Malheureusement, il est impossible de déplacer notre maison : nous subissons le bruit, les infrasons, et la présence d’électricité dans le sol. Ma sœur a perdu le sommeil. Un jour, alors qu’elle se trouvait dans l’étable, elle s’est assise sur un bidon en métal de 50 litres, et elle a ressenti des décharges électriques. Le médecin nous a expliqué que les prothèses de hanche qu’elle porte avaient sans doute accentué le phénomène. Il y a donc bien de l’électricité dans le sol, et je peux vous dire que ces phénomènes n’étaient pas présents avant l’installation des parcs.
Aujourd’hui, les permis de construire se multiplient autour de nous : Coren, Vieillespesse, extension d’Ally-Mercoeur… Sur le parc le plus proche, on nous a annoncé que les éoliennes allaient être remplacées par des machines plus hautes et plus performantes. Mais aucune étude n’est réalisée sur les populations. Les installations toujours plus puissantes, mais la distance entre ces usines et notre maison est toujours la même…
Les promoteurs, toujours plus nombreux, sillonnent le secteur. Ils sont venus me voir, plusieurs fois. On nous propose des cadeaux contre des promesses de baux à faire signer aux voisins, mais on ne s’intéresse pas à la vie sous les pâles. J’ai montré à un de ces « chargés d’étude » les photos que j’ai prises des blocs de glace qui tombent autour de nous lorsqu’il gèle. A 1100 mètres d’altitude, le froid glacial est fréquent. Je leur ai également soumis les clichés des Milans Royaux hachés par les pâles. On me répond qu’on fait remonter l’information…mais je me demande bien à qui, puisque nous n’obtenons jamais de retour.
Témoignage recueilli par Sioux Berger
Mars 2023
En savoir plus :
Le Prix du Vent, Sioux Berger, éditions du Rocher.
Les Pentes, Sioux Berger, Editions De Borée.