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mardi 4 octobre 2022

L’éolien est-il compatible avec l’agriculture ?



Témoignage d’Agnès Aubertin, éleveuse et céréalière en Haute-Marne, sur la terre de ses ancêtres.


Je m’appelle Agnès Aubertin, et j’ai repris l’exploitation de mes parents en 2004 sur la commune de Darmannes. Avant eux, mes parents et mes arrière-grands-parents exploitaient déjà ces terres.

Je m’occupe d’un troupeau de 250 bêtes, des vaches allaitantes et des vaches laitières, sur une vingtaine d’hectare. Autour de nous, il y a de nombreux parcs éoliens : celui de Darmannes, avec 8 éoliennes dont certaines sont à moins de 500 mètres de la maison, celui de Mareilles, celui de Biesles... Et ce n’est pas terminé, car dans un rayon de 12 km, une soixantaine d’éoliennes supplémentaires vont voir le jour. 
Les problèmes ont commencé en 2019, avec la mise en route du parc de Riaucourt. Nous avons fait intervenir un premier géobiologue, puis nous avons eu encore recours à la géobiologie en 2020, lorsque le site de Cirey-lès-Mareilles a été mis en fonctionnement. Nous voulions tenter de résoudre les problèmes que nous avons constatés principalement sur nos laitières, qui fréquentent la stabulation. Nos vaches allaitantes sont au pré une grande partie de l’année, à une trentaine de kilomètres de là, elles sont donc épargnées. Auparavant, nous avions parfois quelques décès d’animaux, mais nous avons toujours su quel était le mal qui avait emporté nos bêtes.

Coïncidence ou pas ? Lors de la mise en fonctionnement du second parc, nous avons ramassé dans le week-end 3 laitières mortes subitement, sans explication médicale possible. Puis l’hécatombe s’est poursuivie : au total, sur une année, nous avons eu plus d’une douzaine de décès sans symptômes connus, alors qu’au cours des années précédentes, nous n’en avions aucun !

D’autres problèmes étranges sont apparus. Les volumes de lait ont baissé, la qualité aussi, et les vaches ont eu du mal pour la reproduction. En général, on obtient environ un vêlage tous les 12 mois. Malgré nos soins, nos bêtes ont tardé pour porter leurs petits, cela a pris entre 18 et 20 mois, et nous avons eu des naissances déséquilibrées : plus de mâles, peu de femelles. Les veaux quant à eux sont nés normalement, mais, certains ont subi le même sort que leurs mères : ils sont morts subitement au bout d’une huitaine de jours. Cela arrive parfois : je dirais que des pertes normales de petits se situent aux alentours de 3 pour 40 naissances. Mais là, sans raison apparente, nous sommes passés à 12 pour 40. Depuis le passage du géobiologue, certains symptômes se sont atténués. Par exemple, nos taurillons sont plus calmes, alors qu’ils se jetaient sans raison sur les barrières, ne dormaient plus, et ne mangeaient pas correctement.
 

Malheureusement, tout n’est pas encore parfait, et je redoute l’installation des autres parcs. Ici, les éoliennes poussent comme des champignons sans qu’aucune étude ne soit réalisée au préalable sur l’impact des machines. En Haute-Marne, près de 200 éoliennes sont en fonctionnement, et plus de 500 sont prévues dans les années à venir.

Je souhaiterais également parler d’un phénomène problématique sur nos champs de céréales. 
La Haute-Marne est l’un des greniers à blé de la France, et nous sommes fiers d’en cultiver près de 200 hectares. Par les temps qui courent, je pense que ces terres agricoles que nous travaillons sont un bien précieux pour l’autonomie alimentaire de notre pays. Pensez-y lorsque vous lirez ces lignes. Afin de travailler le sol, nous sommes équipés de tracteurs modernes équipés de GPS. Cette installation nouvelle est peut-être loin de l’image bucolique du paysan qui sème à toute volée dans son champ, mais c’est une réalité. Ce système nous permet d’être très précis, par exemple lorsque nous déposons les graines après le labour : on définit la parcelle sur le GPS en la dessinant, on décide le tracé des sillons, puis on suit les consignes indiquées pour ne pas repasser deux fois au même endroit. Sans le GPS, les semences sont plus aléatoires. Avec lui, on économise du temps, de la matière première.
C’est pourquoi nous avons investi dans ce tracteur moderne. Or le gros problème vient du fait que lorsque notre engin agricole passe à proximité des éoliennes, tout guidage devient impossible, car nous perdons le contact avec les antennes satellites. De plus, voici un autre exemple qui confirme nos inquiétudes : notre fils s’était équipé d’un petit drone qui nous permettait de surveiller plus facilement nos cultures sans avoir à nous déplacer. Avec l’arrivée des parcs, cette surveillance est devenue impossible car nous perdons le signal.

Les problèmes que nous rencontrons sur notre exploitation sont source d’inquiétude pour notre famille : nos deux enfants souhaiteraient travailler avec nous, et notre fille a décidé de diversifier notre production en faisant des crèmes glacées locales. Mais avec les soucis auxquels nous sommes confrontés, et l’arrivée de nouveaux parcs, ils hésitent à se lancer dans l’aventure.

Ces remarques vous semblent peut-être anecdotiques, mais je pense qu’il est important que le grand public en soit informé, car cela pose deux questions :
- Eolien et agriculture sont-ils compatibles ?
- Des études seront-elles enfin réalisées sur la question des champs électromagnétiques avant l’installation d’autres machines ?

Témoignage recueilli par Sioux Berger , septembre 2022

A paraître le 2 novembre 2022 : Le Prix du Vent, aux éditions du Rocher. Synthèse de 4 années d’enquête et de recueil de témoignages agricoles.