https://metamag.fr/2018/06/08/le-fiasco-de-leurope-electrique/
Michel Gay ♦
Par aveuglement dogmatique, l’Union européenne et tous les gouvernements français qui se sont succédés depuis 20 ans ont sous-estimé les particularités du marché de l’électricité au point que, selon un ancien président d’EDF (Marcel Boiteux) : «On avait ouvert l’électricité à la concurrence pour baisser les prix et il faut aujourd’hui les élever pour permettre la concurrence».
Idéologie et dérégulation
Un savant mélange d’idéologie et de bureaucratie appuyé par le doux rêve des énergies renouvelables a conduit à un incroyable désordre. Le dogme de l’écologie libérale l’a emporté sur la raison.
La Commission européenne s’est intéressée à l’énergie au début des années 1990 après la mise en place du grand marché intérieur. Elle déclarait en 2001 que “l’ouverture totale du marché de l’énergie est un facteur clé de l’amélioration de la compétitivité de l’Europe et du bien être de ses habitants“.
Les Européens n’ont rien gagné à cette dérégulation du marché de l’électricité. Ils y ont perdu leur argent par le biais de leurs factures d’électricité et de leurs impôts.
Au contraire de ce qui était annoncé en 2001, “l’ouverture totale” a rogné la compétitivité de l’Europe et a diminué le “bien être” de ses habitants.
La logique du “marché subventionné” n’est pas celle du service public
Le marché vise d’abord à réaliser des bénéfices et ensuite, éventuellement, à fournir un service à la collectivité s’il vient conforter le “business”. Un bon moyen de garantir la rentabilité est d’organiser une pénurie, car tout ce qui est rare est cher.
Si le monopole ne conduit généralement pas à l’optimum des coûts, un marché artificiellement construit à coups de soutiens financiers et de subventions peut conduire au pire, c’est-à-dire au “black-out” (coupure générale d’électricité par effondrement du réseau).
Le bazar actuel dans le système électrique européen aboutit à des prix de marché trop bas pour permettre d’investir dans les nécessaires moyens pilotables du futur, et même à des prix de ventes négatifs !
Cette situation ubuesque résulte aussi de l’attitude de l’Allemagne qui a décidé unilatéralement en 2011 l’arrêt définitif de toutes ses centrales nucléaires en 2020, et d’accélérer sa fuite en avant dans l’aventure folle de la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables intermittentes.
C’est à cette époque que toute l’Europe a perdu ses repères.
L’électricité a deux particularités :
1) Elle correspond à un besoin vital qui rend le consommateur captif, quel que soit le prix. Qui se passerait de l’ascenseur pour monter au dixième étage ? Qui resterait dans le noir, sans internet, sans télévision et surtout sans chauffage l’hiver ?
Remarque : toutes les chaudières (bois, fuel, gaz) font appel à l’électricité pour fonctionner.
2) C’est une énergie non stockable. Sa production doit correspondre en permanence à la demande variable au fil des minutes, des semaines, et des saisons.
Cette variation de la consommation peut être atténuée par une contrainte “vertueuse” ou “vicieuse”.
L’option vertueuse consiste à pratiquer des tarifs incitant à un étalement de la consommation, comme procédait EDF avec ses tarifs heures creuses / heures pleines incluant des effacements les jours de pointe de consommation.
L’option “vicieuse” mise en œuvre aujourd’hui consiste à ne rien faire et à augmenter les tarifs pour tous afin d’absorber l’explosion des coûts de production due principalement aux énergies renouvelables éoliennes et photovoltaïques.
Une prétendue libre concurrence vivant largement de subventions publiques sur le dos des contribuables et des consommateurs s’est substituée aux prix réglementés.
Acharnement idéologique
Dans son acharnement idéologique à vouloir sauver la planète, la commission européenne a (volontairement ?) sous-estimé les conséquences de l’intermittence des productions renouvelables solaires et éoliennes qui nécessitent d’être secondées par des centrales électriques disponibles à tout moment.
En France, le parc “pilotable” est adapté à la production globale annuelle d’électricité (il est même exportateur), mais il est déjà sous adapté pour répondre à la demande de puissance lors des pointes de consommation l’hiver.
En 2022, les dernières centrales à charbon seront fermées sans mettre de nouveaux outils pilotables en service. La puissance garantie disponible de 84 gigawatts (GW) sera alors inférieure de plus de 10 GW au besoin de pointe qui varie de 94 GW en 2018 à plus de 100 GW en 2016.
Les appels à l’importation peuvent rapidement se révéler impossible. Tous les pays qui nous entourent vont devenir sous adaptés à la pointe de consommation, et notamment l’Allemagne qui prévoit d’arrêter 22 GW de nucléaire dans… 2 ans.
Plaque de cuivre et flexibilité
Ainsi, vers 2022, aucun des voisins de la France ne pourra plus la soutenir en apportant la puissance manquante à la pointe de consommation car ils assureront leurs propres besoins nationaux au même moment. Il ne sert donc à rien de renforcer les interconnexions et de parler de “plaque de cuivre” s’il n’y a rien à y faire transiter les nuits sans vent.
Dans ces conditions, la flexibilité d’un parc pilotable (conventionnel ou nucléaire) censée compenser l’intermittence du vent et du soleil est une fumisterie destinée à flouer les citoyens français (contribuables et consommateurs). Ces derniers ne pourront que constater le fiasco d’un processus délibéré qui abouti à lui faire payer plus cher un système de plus en plus fragile et moins disponible ! Mais cet argent ne sera pas perdu pour tous ceux qui auront su profiter de cette scandaleuse aubaine financière.
Les mêmes qui, en Europe et au gouvernement, ont fait le choix délirant de déréguler le marché et de donner, en même temps, la priorité aux énergies renouvelables par de gigantesques subventions s’étonnent aujourd’hui du rejet d’une certaine Europe.
N’aurait-il pas été préférable de soutenir la prolongation du parc nucléaire jusqu’à 60 ans comme aux Etats-Unis5 (dont 84 des 99 réacteurs ont obtenu cette prolongation, et une réflexion est en cours pour 80 ans…), ou en Suède ?
Pour aboutir à un tel fiasco dans le domaine de l’électricité, il faut croire qu’un idéalisme béat a tenu lieu de jugeote à la Commission européenne, car personne n’oserait imaginer que tout cela pourrait être une affaire de “gros sous” entre divers lobbies affairistes, gaziers et antinucléaires, au détriment des Européens.
Michel Gay ♦
Par aveuglement dogmatique, l’Union européenne et tous les gouvernements français qui se sont succédés depuis 20 ans ont sous-estimé les particularités du marché de l’électricité au point que, selon un ancien président d’EDF (Marcel Boiteux) : «On avait ouvert l’électricité à la concurrence pour baisser les prix et il faut aujourd’hui les élever pour permettre la concurrence».
Idéologie et dérégulation
Un savant mélange d’idéologie et de bureaucratie appuyé par le doux rêve des énergies renouvelables a conduit à un incroyable désordre. Le dogme de l’écologie libérale l’a emporté sur la raison.
La Commission européenne s’est intéressée à l’énergie au début des années 1990 après la mise en place du grand marché intérieur. Elle déclarait en 2001 que “l’ouverture totale du marché de l’énergie est un facteur clé de l’amélioration de la compétitivité de l’Europe et du bien être de ses habitants“.
Les Européens n’ont rien gagné à cette dérégulation du marché de l’électricité. Ils y ont perdu leur argent par le biais de leurs factures d’électricité et de leurs impôts.
Au contraire de ce qui était annoncé en 2001, “l’ouverture totale” a rogné la compétitivité de l’Europe et a diminué le “bien être” de ses habitants.
La logique du “marché subventionné” n’est pas celle du service public
Le marché vise d’abord à réaliser des bénéfices et ensuite, éventuellement, à fournir un service à la collectivité s’il vient conforter le “business”. Un bon moyen de garantir la rentabilité est d’organiser une pénurie, car tout ce qui est rare est cher.
Si le monopole ne conduit généralement pas à l’optimum des coûts, un marché artificiellement construit à coups de soutiens financiers et de subventions peut conduire au pire, c’est-à-dire au “black-out” (coupure générale d’électricité par effondrement du réseau).
Le bazar actuel dans le système électrique européen aboutit à des prix de marché trop bas pour permettre d’investir dans les nécessaires moyens pilotables du futur, et même à des prix de ventes négatifs !
Cette situation ubuesque résulte aussi de l’attitude de l’Allemagne qui a décidé unilatéralement en 2011 l’arrêt définitif de toutes ses centrales nucléaires en 2020, et d’accélérer sa fuite en avant dans l’aventure folle de la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables intermittentes.
C’est à cette époque que toute l’Europe a perdu ses repères.
L’électricité a deux particularités :
1) Elle correspond à un besoin vital qui rend le consommateur captif, quel que soit le prix. Qui se passerait de l’ascenseur pour monter au dixième étage ? Qui resterait dans le noir, sans internet, sans télévision et surtout sans chauffage l’hiver ?
Remarque : toutes les chaudières (bois, fuel, gaz) font appel à l’électricité pour fonctionner.
2) C’est une énergie non stockable. Sa production doit correspondre en permanence à la demande variable au fil des minutes, des semaines, et des saisons.
Cette variation de la consommation peut être atténuée par une contrainte “vertueuse” ou “vicieuse”.
L’option vertueuse consiste à pratiquer des tarifs incitant à un étalement de la consommation, comme procédait EDF avec ses tarifs heures creuses / heures pleines incluant des effacements les jours de pointe de consommation.
L’option “vicieuse” mise en œuvre aujourd’hui consiste à ne rien faire et à augmenter les tarifs pour tous afin d’absorber l’explosion des coûts de production due principalement aux énergies renouvelables éoliennes et photovoltaïques.
Une prétendue libre concurrence vivant largement de subventions publiques sur le dos des contribuables et des consommateurs s’est substituée aux prix réglementés.
Acharnement idéologique
Dans son acharnement idéologique à vouloir sauver la planète, la commission européenne a (volontairement ?) sous-estimé les conséquences de l’intermittence des productions renouvelables solaires et éoliennes qui nécessitent d’être secondées par des centrales électriques disponibles à tout moment.
En France, le parc “pilotable” est adapté à la production globale annuelle d’électricité (il est même exportateur), mais il est déjà sous adapté pour répondre à la demande de puissance lors des pointes de consommation l’hiver.
En 2022, les dernières centrales à charbon seront fermées sans mettre de nouveaux outils pilotables en service. La puissance garantie disponible de 84 gigawatts (GW) sera alors inférieure de plus de 10 GW au besoin de pointe qui varie de 94 GW en 2018 à plus de 100 GW en 2016.
Les appels à l’importation peuvent rapidement se révéler impossible. Tous les pays qui nous entourent vont devenir sous adaptés à la pointe de consommation, et notamment l’Allemagne qui prévoit d’arrêter 22 GW de nucléaire dans… 2 ans.
Plaque de cuivre et flexibilité
Ainsi, vers 2022, aucun des voisins de la France ne pourra plus la soutenir en apportant la puissance manquante à la pointe de consommation car ils assureront leurs propres besoins nationaux au même moment. Il ne sert donc à rien de renforcer les interconnexions et de parler de “plaque de cuivre” s’il n’y a rien à y faire transiter les nuits sans vent.
Dans ces conditions, la flexibilité d’un parc pilotable (conventionnel ou nucléaire) censée compenser l’intermittence du vent et du soleil est une fumisterie destinée à flouer les citoyens français (contribuables et consommateurs). Ces derniers ne pourront que constater le fiasco d’un processus délibéré qui abouti à lui faire payer plus cher un système de plus en plus fragile et moins disponible ! Mais cet argent ne sera pas perdu pour tous ceux qui auront su profiter de cette scandaleuse aubaine financière.
Les mêmes qui, en Europe et au gouvernement, ont fait le choix délirant de déréguler le marché et de donner, en même temps, la priorité aux énergies renouvelables par de gigantesques subventions s’étonnent aujourd’hui du rejet d’une certaine Europe.
N’aurait-il pas été préférable de soutenir la prolongation du parc nucléaire jusqu’à 60 ans comme aux Etats-Unis5 (dont 84 des 99 réacteurs ont obtenu cette prolongation, et une réflexion est en cours pour 80 ans…), ou en Suède ?
Pour aboutir à un tel fiasco dans le domaine de l’électricité, il faut croire qu’un idéalisme béat a tenu lieu de jugeote à la Commission européenne, car personne n’oserait imaginer que tout cela pourrait être une affaire de “gros sous” entre divers lobbies affairistes, gaziers et antinucléaires, au détriment des Européens.