JEAN-LOUIS BUTRÉ |
Propos recueillis par Mickaël Fonton
Avec le “One planet summit”, la France n’a parlé que de transition écologique et d’énergies renouvelables. Jean-Louis Butré, Président de la Fédération Environnement Durable (FED), qui regroupe plus de mille associations confrontées à l’éolien, revient sur la réalité concrète de cette source d’énergie. Et promet un avenir compliqué à EDF, qui s’engage chaque jour plus avant dans cette impasse technologique et financière.
Valeurs actuelles. Comment définiriez-vous la situation actuelle, en France, sur le front de l’éolien ?
Jean-Louis Butré. Aujourd’hui en France 7000 éoliennes terrestres sont en fonctionnement. Selon les dernières informations données par le Ministre de l’Environnement Nicolas Hulot, 20000 sont à venir à l’horizon 2023. Ces machines, qui peuvent atteindre désormais 230 mètres de haut et être implantées à 500 m d’une habitation, sont composées d’un socle de béton armé de 1500 tonnes, d’un mât en acier ou en béton de plus de 100 mètres et d’une nacelle contenant le générateur d’électricité entraîné par une hélice tripale. Chaque pale peut atteindre 60 mètres. La nacelle pèse plus de 70 tonnes. Le coût complet de sa construction est de l’ordre de 3 millions d’euros. Voilà pour l’objet en lui-même.
Enfin, malgré leur gigantisme, toutes ces éoliennes, du fait de leur productivité annuelle dérisoire (environ 23%) ne fabriquent aujourd’hui qu’une quantité d’électricité minime, correspondant à 4% du total de l’électricité de la France.
La FED estime que plus de 30% des parcs éoliens en fonctionnement ont été construits ou vont l’être sur terrains appartenant à des élus locaux. S’il est prouvé que ces élus ont pris part au processus décisionnel, ces pratiques correspondent à des prises illégales d’intérêts qui ont été dénoncées dès 2015 par les rapports du Service Central de Prévention de la Corruption. Des condamnations ont été prononcées dont la perte des droits civiques pour un maire. Des procès sont en cours. Dans le cadre de la construction des 2000 nouveaux parcs éoliens programmés pour 2023 par la “Transition Énergétique”, ce phénomène d’une ampleur inégalée pourrait conduire à la corruption de près de mille communes rurales par les éoliennes. Une situation qui jetterait le discrédit sur l’ensemble de la classe politique.
L’éolien offshore est-il plus intéressant ?
En France, il ne s’agit pas d’éoliennes offshores mais d’éoliennes terrestres dites “les pieds dans l’eau” qui n’ont rien à voir avec celles implantées en pleine Mer du nord, balayées par des vents forts et constants où la productivité des éoliennes peut atteindre 43%. Six chantiers éoliens français, (1200 machines), sont programmés au ras des côtes de la Manche et sur la façade atlantique : Le Tréport/Dieppe, Fécamp, Arromanches/Courseulles, Saint-Brieuc, Saint-Nazaire/La Baule, les îles d’Yeu et Noirmoutier. EDF sera obligée par l’Etat d’acheter cette électricité offshore à plus de 22 centimes d’euro le kWh alors que sur le prix de l’électricité se négocie en dessous de 3 centimes d’euro le kWh. C’est soit 7 fois moins ! Cette dissimulation de la réalité du coût de l’éolien en mer est porteuse de conséquences sociales très graves : qu’adviendra-t-il des huit millions de ménages les plus défavorisés, quand leur facture d’électricité aura doublée et qu’ils ne pourront plus la payer ?
Les entreprises françaises sont-elles au moins impliquées dans ces projets ?
C’est le credo officiel. Après plus d’une décennie passée à essayer d’imposer ce programme terrestre et offshore, l’argumentaire des gouvernements successifs relayés par l’Agence de maîtrise de l’énergie (Ademe), a été basé sur le développement d’une filière industrielle française de fabrication d’éoliennes et sur la création de dizaines de milliers d’emplois. On en est très loin : les deux sociétés qui devaient relever ce défi, Alstom et Areva, ont fait défection. Alstom, pourtant un des fleurons de l’industrie française, a été vendu à l’américain General Electric, et Areva a sombré corps et biens dans l’éolien maritime. Après avoir programmé le massacre de la France par 20.000 éoliennes terrestres géantes importées d'Allemagne et du Danemark, nos dirigeants ont donc désormais décidé de saccager aussi un littoral jusqu’ici préservé, au mépris de l’économie locale et de la protection indispensable de l’océan.
De manière générale, comment expliquez-vous le succès de ce qui s’apparente pourtant assez fortement à une impasse électrique, écologique et financière ?
L’éolien n’est ni une affaire d’électricité, ni d’environnement ni de sauvetage de la planète. C’est un “big business” ou des multinationales, des banques, des affairistes et même certains escrocs font des fortunes gigantesques. Ils pillent les consommateurs à qui ils font croire qu’ils leur vendent une électricité verte, vertueuse et gratuite qui va sauver le monde. Cette électricité éolienne est dispersée sur le territoire, ce qui entraîne la construction d’un nouveau réseau de collecte et de distribution d’électricité, des milliers de kilomètres de lignes électriques, des milliers de pylônes et de transformateurs. En outre, comme il s’agit d’une électricité intermittente, en l’absence de vent ce sont des centrales thermiques qui prennent le relais et émettent des gaz à effet de serre.
Comment cette gigantesque machine s’est-elle mise en place ?
"C’est Yves Cochet, ancien ministre de l’Environnement du gouvernement Jospin, qu’on surnommait “le barde délirant de l’éolien”, qui a engagé la France dans cette gabegie."
Il était le “chef” du groupe des Verts à l’Assemblée nationale et avait publié en 2005 « Pétrole apocalypse », un livre dont toutes les prévisions se sont révélées fausses. Il a inventé le système de tarif de rachat de l’électricité éolienne, par le groupe EDF à un prix garanti, anormalement élevé, obligatoire et prioritaire sur 15 ans. Pour combler le gouffre financier ainsi créé les consommateurs s’acquittent d’une taxe, la CSPE, qui atteint aujourd'hui 23% du montant de leur facture. C’est grâce à ce système de subventions cachées que des fortunes individuelles gigantesques se sont faites. Pour ne citer que les plus célèbres : EnR, la filiale d’EDF chargée du développement des énergies renouvelables, c’est-à-dire principalement de l’éolien, a été rachetée à Pâris Moratoglou. Cet homme d’affaires avisé, père du très médiatique Patrick, (coach de Serena Willams) a convaincu, voilà quinze ans, EDF d’entrer dans le capital de sa société, SIIF, rebaptisée EDF Énergies nouvelles. Prix du « cadeau » : 800 millions d’euros. En 2007, Jean-Michel Germa, frère jumeaux de l’ancien Directeur Général de WWF, a revendu la moitié de sa société « La compagnie du vent » à GDF-Suez qui l’avait valorisée à 753 millions d’euros. Là aussi, un joli jackpot.
Présent au dernier Congrès des climato-réalistes, vous avez notamment affirmé : “l’évolution d’EDF donne le frisson”. Qu’entendiez-vous par là ?
Ce sont des chiffres connus de tous mais il est important de les rappeler. En 2016, EDF, premier producteur mondial d’électricité employait 155000 salariés dans le monde dont 129000 en France. Sa situation économique est alors fortement dégradée : des fonds propres inférieurs à 20 milliards d’euros, une action en forte baisse (- 66 % depuis 2014), un endettement qui s'est envolé (40 milliards, soit plus de la moitié de son chiffre d’affaire), des retraites non provisionnées évaluées à plus de 60 milliards d’euros, une fusion périlleuse en cours avec Areva qui totalise de son côté 4,8 milliards de pertes. Ces difficultés se sont traduites par la sortie d’EDF du CAC 40 fin 2015, la démission de son directeur financier début 2016, l’abaissement de la note du groupe par l’agence Standard & Poor’s et son déclassement par l’agence Moody’s. Un déclin confirmé début 2017 par l’annonce de plusieurs milliers de suppressions de postes à venir. C’est un scénario de faillite programmée.
Ce sont des chiffres connus de tous mais il est important de les rappeler. En 2016, EDF, premier producteur mondial d’électricité employait 155000 salariés dans le monde dont 129000 en France. Sa situation économique est alors fortement dégradée : des fonds propres inférieurs à 20 milliards d’euros, une action en forte baisse (- 66 % depuis 2014), un endettement qui s'est envolé (40 milliards, soit plus de la moitié de son chiffre d’affaire), des retraites non provisionnées évaluées à plus de 60 milliards d’euros, une fusion périlleuse en cours avec Areva qui totalise de son côté 4,8 milliards de pertes. Ces difficultés se sont traduites par la sortie d’EDF du CAC 40 fin 2015, la démission de son directeur financier début 2016, l’abaissement de la note du groupe par l’agence Standard & Poor’s et son déclassement par l’agence Moody’s. Un déclin confirmé début 2017 par l’annonce de plusieurs milliers de suppressions de postes à venir. C’est un scénario de faillite programmée.
Vous dénoncez une stratégie de communication “médiatiquement suicidaire” ?
Ces événements posent la question du bien-fondé de la stratégie du groupe et de la responsabilité des Energies Renouvelables (EnR) dans son déclin. Les Energie renouvelables solaire et éolien (hors hydraulique) ne représentent que 2% de la production d’électricité du groupe : c’est une infime partie ! La fameuse filiale EDF Energie Nouvelles n’emploie que 3000 collaborateurs dans le monde et seulement 1400 en France, soit 1,1 % de l’effectif national. En revanche, la stratégie agressive de communication de cette filiale, appuyée par l'Ademe et le Ministère de l’environnement, conduit à faire croire aux décideurs politiques et aux citoyens que l’avenir d'EDF et de ses salariés est basé sur les énergies renouvelables. Celles-ci, parées de toutes les vertus écologiques, ont pratiquement occulté les autres. L’annonce récente du président d’EDF d’investir 25 milliards d’euros dans le solaire fait partie de de plan de communication destiné à masquer les difficultés financières gigantesques de cette entreprise.
Vous dites que des scenarii de démantèlements sont actuellement en cours d’élaboration à Bercy – c’est du roman d’anticipation ?
EDF a un énorme besoin d’argent, notamment pour assurer l’avenir de son parc nucléaire dont la sécurité inquiète beaucoup de spécialistes. Pour trouver ces sommes, plusieurs scénarii sont en cours d’étude à Bercy. Certains datent même probablement de l’époque où Emmanuel Macron était ministre de l’économie. Des projets envisagent ainsi la séparation du groupe en plusieurs entités dont certaines seraient cédées à des repreneurs pouvant être des groupes étrangers qui entreraient progressivement dans le capital de ces nouvelles entités. Pour sauver EDF de l’asphyxie financière, le découpage entre activités nucléaires et activités non nucléaires est une des pistes possibles. Selon certaines sources, des groupes financiers internationaux ont flairé l’hallali et travailleraient sur ces hypothèses de démantèlement et de rachat total ou partiel.
"Il s’agirait en réalité d’une sorte de mécano de dépeçage progressif d’EDF comme l’ont connu de nombreuses filières industrielles de notre pays avec perte de contrôle de l’Etat français au profit de multinationales concurrentes."
Ne craignez-vous que, par une sorte de dernière ironie, on mette alors la faillite de l’entreprise sur le compte de sa “stratégie du tout-nucléaire” ?
Il est certain que le nucléaire sera toujours le coupable idéal. Depuis des années, une campagne médiatique gigantesque détruit systématiquement l’image de la filière nucléaire française. Résultat : selon certains sondages 77% % des français sont aujourd’hui antinucléaires alors que c’est cette filière qui fournit plus de 75% de l’électricité des ménages. On peut s’interroger sur les mécanismes à l’œuvre dans cette campagne de dénigrement et plus particulièrement les motivations de certaines ONG.
Vous pointez notamment du doigt le double jeu de Greenpeace…
Un rapport de de Thibault Kerlirzin, de l’Ecole de Guerre Economique, explique que Greenpeace possède une branche business, Greenpeace Energy, dont la filiale Planet Energy investit dans les centrales électriques “propres” et a déjà construit dix parcs éoliens. En Allemagne comme à l’étranger, Planet Energy a plusieurs partenaires dont Vestas Wind Systems, le plus grand fabricant mondial d’éoliennes. Greenpeace Pays-Bas est aussi actionnaire de longue date de la Triodos Bank, dont le fonds dédié au développement durable a Vestas pour premier investissement. Sven Teske, cofondateur de Greenpeace Energy, a été en 2012 le directeur de projet et principal auteur d’un rapport coécrit qui portait sur la “révolution énergétique”, coécrit avec le Global Wind Energy Council (GWEC), la “voix de l’industrie de l’énergie éolienne mondiale”, et l’European Renewable Energy Council (EREC), organisation parapluie de l’industrie des énergies renouvelables. Pour aller au but je poserais deux questions : Greenpeace est-elle une ONG uniquement au service de l’écologie ou le cheval de Troie de multinationales qui rôdent autour d’un démantèlement d’EDF ? Quel est le rôle de la filiale Enr qui, par sa publicité et son action sur le terrain, détruit médiatiquement la filière nucléaire de sa maison mère EDF ?