Publié 03/12/2016
Droit de suite. Au fil des années, les éoliennes sont devenues incontournables dans le paysage de la campagne normande. Quelles sont les conséquences sur l’immobilier ? Reportage.
Claudine Delaunay et son mari Serge habitent l’allée des Tilleuls, à Brachy (76), (près de Dieppe) depuis 1980. Claudine a la sagesse des résignés. « Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? », questionne l’aide ménagère de 59 ans, « Ils ne les enlèveront pas, ça, c’est sûr ». La fenêtre de la chambre du couple donne sur un des cinq engins de 125 mètres de haut du parc de Brachy, installé en 2007. « On ne nous a pas demandé notre avis, alors qu’est-ce que ça change qu’on s’inquiète ? », grommelle Serge. Ce mercredi après-midi, elles ne tournent pas. « Ce n’est pas en hiver qu’elles dérangent le plus, reconnaît Claudine. Mais l’été, quand vous voulez lire en terrasse et que vous avez le bruit et l’ombre des pales, c’est minant... » Les éoliennes pivotent selon le vent. Lorsqu’il est d’ouest, elles sont dirigées vers la maison des Delaunay. « Le pire, c’est pour ceux qui veulent vendre, assure Claudine, on connaît des gens à Brachy qui ont perdu des sous, parce que les acheteurs ont beaucoup négocié à cause de la vue sur les éoliennes ». L’impact sur le paysage, « peu en ont conscience », regrette Jean-Michel Leforestier.
LES ÉOLIENNES,« ÇA BLOQUE UN PEU »
Architecte à Luneray, il avait fondé en 2003, avec une dizaine « d’autochtones », l’A4CSV, l’Association des citoyens et contribuables de la communauté de communes de Saâne et Vienne. S’ils n’ont pas réussi, il y a neuf ans, à stopper la création du parc de Brachy, les membres de l’A4CSV ont deux succès à leur actif. « Nous avons fait sauter les projets de Royville et Lamberville », se félicite l’architecte de 66 ans. Celui de Lamberville devait voir une éolienne s’implanter « dans l’axe d’un château classé monument historique ». À Brachy, « les habitants ne se rendaient pas compte ».
Guy Jousselin, de l’agence Jouss’Immo, a l’habitude des inquiétudes des potentiels acheteurs. Les biens qu’il propose à la vente sont essentiellement situés dans un rayon de 7 kilomètres autour de Luneray. « Ceux qui viennent acheter une résidence secondaire - les Parisiens, les Rouennais, et qui n’ont pas l’habitude des parcs éoliens ont un peu peur. » L’agent immobilier est installé à Luneray depuis 2011. Il prend l’exemple d’une maison de 110m² à Brachy : « elle a un point positif, sa belle vue dégagée, et un point négatif, la présence d’une éolienne à proximité ». Estimée à 150 000 €, elle perdra « entre 5 et 10 % de sa valeur » à la vente à cause des éoliennes. Cette baisse s’ajoute à « la règle générale des 10 % de ristourne négociables sur le prix d’une maison ». Le problème, « ce sont les gens qui avaient acheté leur maison alors que les éoliennes n’existaient pas, qui n’avaient rien demandé, et qui ont du mal à vendre... »Même les Hollandais, habitués des éoliennes et nombreux à être attirés par le pays de Caux, rechignent à investir. « Une maison proche d’un parc éolien mettra beaucoup plus de temps à se vendre, concède Guy Jousselin, ça bloque un peu ». La multiplication des projets en Normandie n’est pas pour rassurer. « J’ai vendu une maison à Quiberville, en prévenant l’acheteur de la rumeur de la construction d’un parc éolien », se souvient Guy Jousselin. « On verra bien », s’est résigné l’acquéreur.
« L’ACHETEUR S’ENFUIT EN COURANT »
À Fécamp, les cinq éoliennes du Cap Fagnet et le projet de parc en mer, de 83 machines, « n’ont pas d’impact sur les ventes », s’accordent Frédéric Blondel et Alain Coesnon, gérants des agences Laforêt et Maupassant. « Le problème se pose surtout en campagne », reconnaît le premier. « Ça gâche le paysage », déplore le second, rejoint par son confrère de Luneray : « Une éolienne, c’est impressionnant. On s’y habitue, mais on ne trouve jamais ça beau... »
En plus des 165 éoliennes déjà actives ou en construction en Seine-Maritime et dans l’Eure, d’autres sont en discussion, notamment au Tilleul-Lambert ou sur la plaine de l’Étantot. À cheval sur les communes de Saint-Maclou-de-Folleville, Tôtes et Vassonville, ce projet de six éoliennes, prévu pour 2018, inquiète les professionnels de l’immobilier. Parmi eux, Sabine Leroy-Jay, responsable de l’agence Prism’Immo, basée à Auffay depuis 2000. « C’est évident que les maisons proches vont subir une importante décote », prévoit-elle. « Quand un acheteur arrive dans un village, comme à Montreuil-en-Caux où il y a des panneaux anti-éoliennes partout, il s’enfuit en courant ! » Des exemples, Sabine Leroy-Jay en a à profusion. « Il y a quatre ans, j’ai une vente qui a capoté à cause du projet éolien de Crosville-sur-Scie », rembobine la Normande. « La personne intéressée avait vendu sa maison parce qu’elle était proche d’une éolienne. » Il a refusé d’acheter : « Je n’ai pas vendu avec beaucoup de difficultés pour me retrouver avec le même problème », a-t-il justifié. Quatre ans plus tard, la demeure est toujours en vente. « Quand il s’agit d’un bien à 150 000 €, la moitié va fuir, l’autre moitié va négocier au moins cher, jusqu’à moins 30 % »,catégorise Sabine Leroy-Jay. « Certains clients sont prêts à mettre 400 000 € dans un bien, mais veulent zéro nuisance. »
SIMON LOUVET
Le journal de l’époque
Le 28 juillet 2007, les 15 premières pales sont arrivées à Brachy. Le 18 août 2007, le Paris-Normandie signale l’installation de la troisième des cinq éoliennes du parc exploité par la société Nordex et souligne la taille des machines. « Des éoliennes qui au final s’élèvent à 125 mètres et surprennent des habitants qui les découvrent dans un rayon de 20 à 25 kilomètres. » Le permis de construire a été délivré le 12 octobre 2006, les éoliennes sont en décembre 2007. « Il n’aura fallu qu’une année pour que le projet se concrétise », écrivions-nous. D’une puissance de 12 mégawatts, le parc de Brachy représentait alors un tiers de la puissance installée en Haute-Normandie en 2007. Fin 2015, la totalité des éoliennes haut-normandes a une puissance de 256 mégawatts. Chacun des quatre réacteurs de la centrale de Paluel a une puissance nette de 1300 MW.