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lundi 31 octobre 2016

Comment vendre du vent à prix d'or

Une petite fille qui court dans les champs en fleurs, un TGV qui file entre les blés ondoyants, un paysage de neige éclairé par un soleil d’hiver, un coucher de soleil coloré au bord de l’eau... Toutes ces belles images comportent un élément de décor commun : des éoliennes. Les promoteurs de cette énergie propre ont réussi une opération de marketing impressionnante : donner à ces grands moulins à vent une image de pureté et de douceur. Le raisonnement qui les accompagne a tout, lui aussi, pour convaincre.
Pour promouvoir leur éclosion, un peu partout en France, la démonstration semble limpide : dans le cadre du protocole de Kyoto, la France doit répondre à l’injonction européenne de produire au moins 21 % d’énergie verte à l’horizon 2010, et l’éolien est sa meilleure chance d’y arriver. Selon le Syndicat des énergies renouvelables (SER), qui défend les entreprises du secteur, « près de 10 000 mégawatts [MW] seront opérationnels en 2010, représentant environ 4 000 éoliennes réparties sur tout le territoire, permettant de répondre à 5 % de la consommation nationale d’électricité » . La puissance installée atteint aujourd’hui 2 000 MW et double chaque année depuis trois ans.
Les éoliennes sont ainsi devenues les spadassins géants de la lutte contre le réchauffement climatique, puisque, une fois bien calées dans leur socle de béton, elles ne rejettent pas de gaz à effet de serre. Seul bémol : en France, près de 80 % de l’électricité produite est d’origine nucléaire, et ne provoque donc aucun rejet de gaz à effet de serre. Les anti-éoliens ripostent donc par un rapide calcul : 5,6 % seulement du CO2 engendré par l’activité en France provient de l’électricité. En 2010, si l’éolien fournit 5 % de la consommation électrique, comme l’assure le SER, il contribuera donc seulement à réduire de 0,28 % (5 % de 5,6 %) les rejets de CO2 dans l’atmosphère...
L’objection, largement relayée par les dizaines d’associations de lutte contre l’éolien, pourrait sembler mesquine si l’éolien n’était devenu, en même temps qu’un symbole de pureté énergétique, une aubaine financière pour toute une série d’acteurs.
Les arguments employés par les fonds d’investissement dans l’éolien parlent d’eux-mêmes. L’un d’entre eux, Eolfi, vante ainsi « des avantages fiscaux » , « des risques limités » , ajoutant que « la visibilité est totale » et que « le risque commercial est nul » . Eolfi évoque un rendement net de 7 à 9 % par an, tandis que d’autres promettent des rentabilités allant de 8 à 15 %. Autrement dit : enrichissez-vous en contribuant à la sauvegarde de la planète et des générations futures. Un beau programme !
André Antolini, président du SER après avoir dirigé SIIF Energies, pionnier de l’éolien en France, est rompu à l’art du lobbying. Ancien président de la Fédération nationale des promoteurs-constructeurs, il fréquente depuis longtemps les couloirs de l’Assemblée nationale et du Sénat. Conscient qu’en France il vaut souvent mieux faire pitié qu’envie, il tente de minimiser l’effet d’aubaine qu’il a contribué à créer en faveur des industriels du vent. « Un mégawatt installé coûte entre 1,3 et 1,5 million d’euros, dont 70 % pour l’achat de la machine, 20 % pour le génie civil et les travaux de raccordement et 10 % pour les études diverses , estime notre lobbyiste. Comme le prix des machines a augmenté de 15 %, le tarif garanti permet une rentabilité de 6 à 10 % par an selon le site, ce qui n’a rien d’exceptionnel. Et encore, avec le réchauffement climatique, on vient de passer deux mauvaises années. » Une évaluation qui fait s’étrangler Didier Wirth, président du Comité des parcs et jardins et vice-président de Vent de colère, la plus virulente des associations de lutte contre les éoliennes. Ce polytechnicien affable, propriétaire des magnifiques jardins du château de Brécy, dans le Calvados, a lui aussi ses réseaux dans la haute administration et leur soumet inlassablement un calcul qui, assure-t-il, démonte l’arnaque : « Une éolienne rapporte environ 150 000 euros par an, dont 5 000 vont rémunérer le propriétaire du terrain où elle est installée, et 10 000 à 15 000 partent en taxe professionnelle. Restent 135 000 euros. Cela fait un retour sur investissement brut de 13 % garanti sur quinze ans avec EDF comme garant. Vu que les projets sont généralement financés à 80 % par de l’emprunt, si vous vous offrez une éolienne à 1 million d’euros, les 800 000 euros empruntés à la banque vont engendrer 40 000 euros de frais financiers par an, à soustraire aux 135 000 euros que vous rapporte la vente du courant électrique. Au final, vous empochez chaque année 95 000 euros, soit un retour de 45 % sur le capital investi ! »
En tout cas, une longue chaîne professionnelle, des constructeurs d’éoliennes jusqu’aux développeurs et aux exploitants, en passant par les bureaux d’études, se montre très motivée par ce gisement d’argent vert en pleine expansion. Pourtant, mener à bien un projet éolien n’est pas de tout repos, d’autant plus que la moitié des permis de construire finalement accordés est frappée par des recours déposés par des associations. Surtout, il faut en amont convaincre des propriétaires terriens de couler quelque 1 000 tonnes de béton dans leurs champs, et les collectivités locales - mairies ou communautés de communes - de déposer un dossier en préfecture. Depuis le 14 juillet, en effet, c’est le préfet qui décide de la mise en place d’une zone de développement éolien ou ZDE, sur proposition des élus. Hors des ZDE, pas de salut : le prix de rachat garanti par EDF ne peut s’appliquer. Bien souvent, cette phase préparatoire s’entoure d’une certaine discrétion, pour ne pas s’attirer les foudres des riverains. Ce n’est que lors de l’enquête publique, préalable au permis de construire, que les populations sont informées de ce qui les attend.
Toutefois, convaincre les élus des zones rurales n’est, le plus souvent, pas très difficile. Dans la plupart des réunions de promotion des éoliennes, l’argument mis en avant est celui des finances publiques : une machine engendre entre 10 000 et 15 000 euros de taxe professionnelle par an. De quoi renflouer les caisses de collectivités souvent dépourvues de moyens. De plus, il arrive qu’intérêts public et privé soient étroitement mêlés, puisque les conseils municipaux sont souvent composés d’agriculteurs, lesquels possèdent des terres qui tout à coup peuvent rapporter gros : entre 3 000 et 5 000 euros de location annuelle par engin installé. L’association Basse-Normandie environnement a dénombré pas moins de douze cas de conflits d’intérêts sur 25 sites où des éoliennes sont prévues ou déjà installées. « Trois des cinq éoliennes posées près de chez moi sont sur des terrains d’élus ou d’anciens élus qui ne se sont pas représentés , raconte Auguste Dupont, habitant de Saint-Pierre-d’Arthéglise, dans la Manche, dont la villa est située à moins de 500 mètres d’une éolienne. Moi, ma maison est toute fissurée et invendable. » Jean-Pierre Leroy, président d’Ajon en colère, qui proteste contre l’installation de ces machines à vent au sud de Caen, dans le Calvados, raconte lui aussi le mélange des genres auquel il assiste : « Cinq éoliennes sont implantées sur un terrain qui appartient au père d’un élu. » Une histoire qui se reproduit à l’identique un peu partout dans l’Hexagone.
Des cadeaux aux uns et aux autres
Pour mieux faire passer la pilule - notamment le bruit occasionné et la détérioration des paysages -, il est prévu, dans l’étude d’impact qui précède chaque examen de permis de construire, des « mesures compensatoires » . Il s’agit souvent de l’enfouissement de certains réseaux électriques. Ou encore du suivi de l’avifaune, car les grandes pales n’épargnent ni les oiseaux ni les chauves-souris. Ainsi, à Sauveterre, dans le Tarn, les promoteurs ont mis sur la table 20 000 euros pour financer un « suivi ornithologique » sur cinq ans. A Albine, dans le même département, l’étude réalisée promet, entre autres, 14 000 euros pour la surveillance de l’avifaune et l’évaluation sur un an du risque de collision. Avec, en prime, 4 000 euros pour « le suivi des chiroptères » (chauves-souris). Qui se chargera de ces études ? Le parc naturel régional et... la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). « La LPO du Tarn est payée par le promoteur pour faire une synthèse dans son étude d’impact lors de l’instruction du permis de construire, comme à Sauveterre. Elle y préconise elle-même les mesures compensatoires et d’accompagnement dont elle va bénéficier. A Albine, l’étude avifaune prévoit un schéma similaire. Résultat : les enjeux "très forts" ou "risqués" dans les études initiales deviennent petit à petit "acceptables" ou "modérés" moyennant de petits ajustements , dénonce Christiane Pinelli, de la Fédération environnement durable du Tarn. Mais tous les comités départementaux de la LPO ne réagissent pas ainsi. Dans l’Aude, ils ont refusé de s’associer au projet... » Au siège national de la LPO, Yann André, chargé de mission et de coordination sur les éoliennes, confirme que certaines associations départementales de la LPO peuvent être rémunérées comme experts : « C’est ce qui permet de mieux contrôler les projets, mais cette collaboration reste à la discrétion de chaque association. A l’échelon national, nous ne touchons pas un centime. »
La LPO défend des intérêts antagonistes à ceux des riverains. Alors que ces derniers veulent que les parcs éoliens, s’ils existent, soient le plus éloignés possible des habitations, l’association amie des oiseaux veut au contraire préserver les zones naturelles et les grands parcs. Au traditionnel « Pas dans mon jardin », la LPO rétorque en quelque sorte : « Plutôt dans votre jardin que dans les couloirs de migration. »
Pour mettre tout le monde d’accord, les promoteurs multiplient les cadeaux aux uns et aux autres. Aux mesures compensatoires qui leur sont imposées s’ajoutent des gratifications supplémentaires qui enchantent les maires. Le journaliste de télévision Henri Sannier est aussi maire d’Eaucourt, une petite commune de la Somme installée en bordure d’autoroute, qui avait sur son territoire un moulin picard en ruine. Grand militant de l’éolien, Henri Sannier a fait installer six machines et paie de sa personne lors de réunions publiques organisées dans sa région pour tenter de convaincre les récalcitrants. « Je ne l’ai pas fait pour l’argent que cela rapporte à la commune mais parce que je suis un fan des énergies renouvelables. » Et d’enfoncer le clou : « Je préfère des éoliennes à une porcherie industrielle, et j’aime autant que les 90 000 euros par an tombent dans les caisses d’Eaucourt plutôt qu’ailleurs et que nous ayons à subir la pollution visuelle sans bénéficier des contreparties financières. Car le constructeur nous a donné plus de 30 000 euros et le développeur a consenti une enveloppe pour l’enfouissement des réseaux. Nous avons aussi pu restaurer notre moulin et le transformer en musée du Vent. Dans leurs négociations, les maires peuvent demander beaucoup, puisque les éoliennes rapportent beaucoup. » En Allemagne, où les éoliennes fleurissent sur tout le territoire à la suite de l’engagement pris par Gerhard Schröder, en 1998, de sortir progressivement du nucléaire civil, les promoteurs se sont montrés encore plus « clientélistes » dans certains villages, où ils offraient de 50 à 100 euros aux familles à chaque naissance, mariage et obtention d’un diplôme !
Mais il arrive que sur le tableau de l’énergie pure et verte le vernis craque un peu. Dans l’Aveyron, le « projet de centrale éolienne du pays belmontais » est présenté, sur le papier, comme un modèle d’intégration et de concertation. Mais il a subi un revers lorsque des riverains ont découvert que les deux actionnaires « à parts égales » de la société d’exploitation, le français Total et l’allemand Harpen, n’étaient pas tout seuls. 15 % de la SAS Eoliennes de Mounès étaient détenus par une société civile (M West) qui avait elle-même pour actionnaire des cascades de sociétés offshore domiciliées aux îles Vierges britanniques, un paradis fiscal opaque situé dans les Caraïbes. En novembre 2006, à la suite de nombreuses protestations sur ce montage étrange, la société civile M West sortait du capital de la SAS Eoliennes de Mounès en revendant ses actions, à parité, à Total et à Harpen.
Certains opposants aux éoliennes supposent que ces montages compliqués pourraient trouver leur utilité au moment du démantèlement des éoliennes, dont la durée de vie est estimée entre quinze et vingt ans. Cette opération coûteuse est en effet à la charge de l’exploitant. Que se passe-t-il si celui-ci se montre défaillant ? C’est bien tout le problème, car le décret annoncé depuis plusieurs années et qui doit fixer les conditions de constitution des garanties financières n’a jamais vu le jour. Or un cas d’école existe déjà dans l’Aude, sur le site de Sallèles-Limousis. Avec le slogan « 7,5 MW dans le vent du Cabardès », la société Energies nouvelles Sallèles-Limousis, détenue à la fois par Edev, une filiale d’EDF, par Cegelec et par le constructeur néerlandais WindMaster, a mis en service dix éoliennes en 1998. Un projet financé à hauteur de 18 % par le conseil régional du Languedoc-Roussillon et par l’Ademe, pour environ 150 000 euros. Mais l’aventure tourne court, en raison de la faillite de WindMaster, le fabricant et coactionnaire. « Des défauts sont apparus sur les pales en 2001 puis en 2002 avec bris partiel [...], peut-on lire sur le site Internet des éoliennes de Sallèles-Limousis. Une solution est en cours d’étude pour changer les pales, mais rien n’est simple puisque le fabricant WindMaster a fait faillite en 1999. »
Rien n’est simple, en effet. A ce jour, les éoliennes en panne n’ont toujours pas été démontées. Trois sur dix ont perdu leurs pales, qui pèsent tout de même chacune 2 tonnes et dont les débris jonchent les champs avoisinants. Les deux actionnaires « survivants », Cegelec et Edev, qui n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien, demeurent inertes... tant qu’une nouvelle autorisation d’exploiter n’aura pas été délivrée.
En 2006, le maire a demandé au préfet de l’Aude de bien vouloir créer, pour respecter la nouvelle législation, une zone de développement éolien sur la commune : « La société exploitante a sollicité une société [SIIF Energies France] pour réhabiliter le site. Ce projet de réhabilitation consiste en l’obtention d’un nouveau permis de construire. Une fois ce permis acquis par SIIF Energies France, il sera procédé au démantèlement des éoliennes existantes et à la reconstruction du parc éolien avec du matériel actuel. » Le 12 juillet, Didier Jocteur-Monrozier, président de l’Association de défense des collines du Minervois et par ailleurs expert-comptable, a expédié une lettre recommandée au président d’EDF : « Notre association , y écrit-il , a particulièrement apprécié le chantage d’EDF, qui tiendra les obligations de ENSL si elle obtient, au travers de SIIF Energies, la garantie de nouveaux permis de construire. N’est-ce pas une façon particulièrement malhonnête de contourner la législation qui impose la remise en état du site en fin d’exploitation et qui est, d’après les études d’impact, garantie ? »
Le pari éolien est aussi celui-là : espérer que les exploitants et leurs actionnaires seront aussi purs que l’énergie qu’ils fabriquent.
Publié le  | Modifié le  Le Point
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